DIEKIRCH GESCHICHTE UND GEGENWART



L’industrie brassicole actuelle et le métier de brasseur se développèrent également au Luxembourg à partir des brasseries familiales et monastiques du Moyen Âge, quoique l'art de brasser la bière date déjà de plus de 6 000 ans. La disparition des monastères entraîna celle d’un grand nombre de brasseries. C'est d'abord en Angleterre puis, dès le milieu du 19e siècle, en Bavière, en Allemagne du Nord et au Grand-Duché de Luxembourg que s’est développé le secteur brassicole. A cette époque, le secteur de la brasserie fut considérablement influencé par un certain nombre d’innovations techniques.

Jusqu'au 19e siècle, la brasserie luxembourgeoise ne prospéra jamais que par à-coups. L'activité de brassage au Luxembourg fut d'abord assurée dans des monastères, pour être reprise peu après par des citoyens dans des brasseries familiales. Vers le milieu de ce même siècle, cette brasserie artisanale a donné naissance à l'industrie brassicole luxembourgeoise. A la veille de la création de la Brasserie de Diekirch en 1870,       29 brasseries du Grand-Duché produisaient       62 298 hl de bière. Les clients, au Luxembourg comme à l'étranger, étaient satisfaits du produit luxembourgeois. En plus de la croissance de la population, plusieurs autres circonstances eurent un impact décisif sur le développement de la consommation de bière dans le pays viticole du Luxembourg à la suite de mauvaises récoltes viticoles et de fruits, les débits de boissons publics ne pouvaient plus offrir ni vin ni cidre, mais uniquement de la bière; la bière luxembourgeoise était consommée par les troupes de la Confédération Germanique stationnées au Luxembourg car, à la différence de la bière française, elle ressemblait beaucoup à la bière bavaroise tant appréciée des soldats; et enfin l'afflux de population active dans le Minettebecken autour de Esch-sur-Alzette ainsi que l'augmentation des salaires journaliers dans toutes les branches d'industrie y afférentes. Vu la hausse du pouvoir d'achat, la bière devint, à côté de l'eau-de-vie, la "[...] boisson favorite de notre classe ouvrière."  L’augmentation de la demande en bière obligea les brasseurs à accroître toujours plus leur production. Jusqu'en 1872, la production de 32 brasseries atteignit 80 841 hl. Au début des années soixante-dix, le secteur brassicole au Luxembourg était devenu en très peu de temps une industrie. Le besoin accru en capital qui en résulta montra les limites de l'entreprise familiale. La société anonyme apparut comme la forme la mieux appropriée au financement d'importants investissements, certes souvent risqués mais nécessaires à la mise sur pied d'une industrie. Les deux premières sociétés anonymes de droit français du secteur alimentaire, la raffinerie de sucre "Le progrès" S.A., Diekirch (1869), et la Brasserie de Diekirch S.A., Diekirch (1871), ont vu le jour grâce aux efforts déployés par le Prince Henri des Pays-Bas pour établir des industries également dans le nord du pays. Le fait que la Brasserie de Diekirch fût la seule et unique société anonyme jusqu'en 1911 traduit le caractère particulier de la forme juridique de la société anonyme dans le secteur brassicole luxembourgeois.



La "Diekircher Actien-Bierbrauerei" (Brasserie de Diekirch S.A.) fut fondée le 26 juin 1871 à l'hôtel Ardennerhof à Diekirch en présence du notaire Emile Ernest Salentiny, de Ettelbruck, et enregistrée le même jour en tant que société anonyme au "Bureau des enregistrements" de Diekirch. La constitution de la société anonyme fut autorisée le 13 août suivant par décision royale grand-ducale, et les statuts publiés intégralement au journal officiel du Grand-Duché le 26 août 1871. Les activités de la brasserie furent développées sur le terrain de la Brasserie de Diekirch, par Jaques Drüssel-Glaesener, descendant de la famille Drüssel, propriétaire d’une brasserie à Diekirch. Tant le bâtiment industriel que le bâtiment d'habitation avaient été achetés par la société anonyme. La propriété se trouvait dans le quartier Bamertal, au nord de Diekirch, entre la rue de l'Esplanade et une propriété située au bord d’un ruisseau et dotée d'un moulin. C'est pour cette raison que l'endroit fut également baptisé "bei der Millen". D'autres propriétés furent bientôt acquises. Avec l'acquisition des biens de l'industriel Ernest Vannerus, des "Dikkricher Millen", d’un moulin et d’une distillerie avec appareils et réservoirs, la brasserie obtint également les droits de jouissance de l'eau du ruisseau de Bamertal.

Après cet agrandissement de la propriété foncière, le Conseil d’administration de la Brasserie de Diekirch chargea un ingénieur de Francfort-sur-l'Oder de la planification du terrain de la brasserie. Cet ingénieur avait pour tâche d’intégrer et de transformer les bâtiments existants. Surtout, une grande cave devait également être construite pour la mise en bouteilles et le stockage de la bière. Le Conseil d’administration décida dans le même temps d'acquérir une installation de brassage complète en Allemagne.

Le 1er octobre 1872, la bière produite par la Brasserie de Diekirch fut présentée pour la première fois au public. La production annuelle dépassait déjà les 20 000 hl pour le premier exercice. Il s'agissait d'une bière à la pression ordinaire du genre bière de Pilsen, et d'une bière de mars, plus fortement brassée et plus brune, du genre bière de Munich. A Diekirch, la bière, alors de qualité supérieure et fabriquée par fermentation basse, bénéficia dès le départ de techniques modernes de production. Des distinctions décernées par des jurys internationaux confirmèrent la très haute qualité des produits de Diekirch. En six ans, la jeune entreprise se vit remettre trois prix pour sa bière lors des "Expositions Internationales" ayant lieu chaque année: une médaille du mérite à Vienne en 1873, une médaille d'argent à Haguenau en 1874 et une médaille d'or à Paris en 1878. Le site de Diekirch se distingua également en raison de ses connexions ferroviaires tant pour l'approvisionnement en matières premières que pour l'expédition de la bière.


La crise générale dans laquelle se trouvait l'économie luxembourgeoise depuis le milieu des années soixante-dix entraîna la chute des salaires et le départ d’un grand nombre de personnes. Le vin luxembourgeois était en outre très bon marché. Ces deux facteurs influencèrent négativement la production de bière. Quelques brasseries durent fermer. La médaille d’or de Paris n’eut pas les répercussions attendues sur les ventes de la bière de Diekirch et la brasserie fut elle aussi liquidée. Vendue aux enchères le 19 avril 1881, elle fut acquise par le Luxembourgeois Ed. Kennedy-Ellis, qui l'intégra cinq jours plus tard, par acte notarié de Maître Salentiny, notaire au moment de la fondation, à la "Société Anonyme de l'Union Industrielle des Deux-Luxembourg", dont le siège était à Arlon. La Brasserie de Diekirch changea encore trois fois de propriétaire en 1885/86. Le 30 juin 1885, la Brasserie de Diekirch fut vendue à la "Société Industrielle et Financière Pescatore et Cie", Luxembourg, deux mois plus tard à la "Société Royale Grand-Ducale de la Brasserie de Diekirch, Emile Speller et Cie", Luxembourg, et, le 22 février 1886, à la "Société Anonyme Française de la Brasserie de Diekirch-Luxembourg-Pays-Bas" ayant son siège à Paris, qui se déclara en faillite en juin 1886. Durant ces années mouvementées, la production de bière ne cessa pas.

Une nouvelle médaille d'or pour la bière de Diekirch lors de l'exposition universelle de Anvers, et une commande portant sur un million de bouteilles de bière passée en 1885 par la "Société transatlantique de bateaux à vapeur", Paris, étaient la preuve que, malgré les nombreux changements de propriétaire, le produit avait conservé sa qualité et supportait parfaitement la concurrence étrangère. La commande prouvait également que la Brasserie de Diekirch avait entre-temps réussi à s’imposer sur les marchés à l’exportation et à mettre aussi en bouteilles sa bière destinée en particulier à l'exportation. L'entreprise commença très tôt à protéger sa marque de bière. Les succès commerciaux des années quatre-vingt rendaient indispensable une augmentation des capacités de la Brasserie de Diekirch. Bien que la brasserie se trouvât dans une phase de bouleversements, il s'était avéré que, avec le temps, le terrain initial de l'exploitation à Bamertal n'offrirait plus suffisamment de place pour le stockage. C'est pourquoi la nouvelle direction de l'entreprise décida en 1881 d'acheter une partie de la raffinerie de sucre "Le Progrès", située près de la gare au sud de la ville, qui cessait ses activités. Y furent construits en deux ans une cave "froide" destinée au stockage, la salle de lavage et d'encaustiquage des tonneaux, la cave à bouteilles et le bureau des expéditions. Dans le même temps, les bâtiments de Bamertal furent transformés en une malterie et une nouvelle salle de brassage. La société Topf und Söhne de Erfurt chargée de ce travail acheva la transformation en 1883. Grâce à l'extension d'une nouvelle cave "froide" destinée au stockage, dans laquelle une première machine à glace fut mise en service, la Brasserie de Diekirch fut la première, au Grand-Duché de Luxembourg, à pouvoir brasser de la bière en toutes saisons.

En 1883, la production de bière de l’ensemble des brasseries luxembourgeoises connut une nouvelle augmentation à plus de 85 000 hl, malgré le recul du nombre de ces brasseries de 30 en 1873 à     18 en 1883. L'augmentation de la production de bière était essentiellement le fait de la Brasserie de Diekirch, qui réalisait cette année-là 42% de la production totale du Luxembourg. Dans le même temps, l'exportation passa d'environ 3000 à 13000 hl de 1882 à 1885. L’administration financière mit cette augmentation de l'exportation de bière du Grand-Duché sur le compte exclusif des premiers succès à l’exportation de la Brasserie de Diekirch S.A. en tant que brasserie exportatrice. Au vu de la quantité importée,          6 000 hl, il s'avéra que - pour la bière - la balance commerciale du Luxembourg était restée positive. A la grande satisfaction des importateurs, les brasseries luxembourgeoises brassaient leur bière selon la loi bavaroise relative à la pureté, bien qu'il ne leur fût pas expressément interdit d'utiliser du riz, du sirop ou du sucre. Le strict respect de la loi par les grandes brasseries et celles actives à l'exportation permit à l’industrie brassicole d’affirmer sa capacité concurrentielle vis-à-vis de l’extérieur.

Beaucoup de brasseries luxembourgeoises profitèrent des années quatre-vingt et de l'essor des industries minière et lourde pour investir dans leurs exploitations et améliorer ainsi considérablement leur équipement. Elles s’adaptèrent à la force motrice à vapeur et augmentèrent les capacités de production par la rationalisation.


Après avoir transféré le siège social de la Brasserie de Diekirch de Diekirch à Paris, en passant par Arlon et Luxembourg, la nouvelle société anonyme, créée le 4 avril 1890, revint s'établir à Diekirch. Le 29 juillet 1889, l'industriel luxembourgeois Louis Godchaux avait acheté la brasserie, avec toutes ses propriétés et installations, par acte juridique de Maîtres Salentiny et Edouard Paquet, notaires à Useldange. En collaboration avec les ingénieurs bruxellois Michel Cahen et Robert Pornitz, M.Godchaux donna le jour à la "Société Anonyme de la Brasserie de Diekirch". La nouvelle Brasserie de Diekirch S.A., dont le siège social se trouvait à Diekirch, reprenait à son compte l’objectif commercial de la première société créée en 1871: la fabrication et la vente de bière ainsi que le commerce de produits correspondants. Les affaires sans rapport direct avec l'industrie de la bière furent expressément interdites. Comme en 1871 déjà, le capital de la société fut fixé à un million de francs sous la forme de 2 000 actions à 500 fr. entièrement libérées. Conformément au capital qu'ils avaient apporté, M. Godchaux reçut 1 700 actions, MM. Cahen et Pornitz se partageant chacun pour moitié les 300 actions restantes. En plus de ces actions, 1 200 obligations à 500 fr., à un taux d'intérêt annuel de cinq pour-cent, furent également émises pour accroître le capital. Le premier conseil d’administration était constitué de Louis Godchaux, président, du banquier Victor Tschiderer, de Diekirch, administrateur-délégué, des copropriétaires Michel Cahen et Robert Pornitz, et de Guillaume Leibfried, avocat à Luxembourg. Au premier conseil de surveillance siégeaient Jacques Süss, commerçant à Strasbourg, et Jean-Pierre Brasseur, hôtelier à Luxembourg. Le premier directeur de la nouvelle Brasserie de Diekirch fut Victor Bohler; lui étaient subordonnés le maître brasseur allemand Georg Leifert, un chef de bureau, un caissier, un chef comptable ainsi que les anciens ouvriers et employés de la Brasserie de Diekirch. Ceux-ci furent repris par la nouvelle brasserie et continuèrent leur travail dans les mêmes conditions.

L’invitation à la première assemblée générale de la société anonyme Diekirch nouvellement fondée fut lancée dans les journaux "Luxemburger Zeitung" (Luxembourg), "Landwirth" (Diekirch), "L'étoile Belge" (Bruxelles) et "Frankfurter Zeitung" (Francfort). 1 125 des 2 000 actionnaires étaient présents. Tous, sans exception, étaient originaires du Grand-Duché de Luxembourg:    MM. Godchaux, Cahen, Pornitz, Leibfried, Tschiderer, Brasseur, Leifert, Heck, Kauffmann et Bohler entre autres. Le premier bilan de la Brasserie de Diekirch S.A. nouvellement fondée afficha un bénéfice net de 125 334 fr., y inclus les mois de transition d'octobre 1889 à avril 1890. Le paiement des dividendes (80 000 fr.) fut effectué auprès des banques suivantes: Banque Internationale, Luxembourg, Tschiderer & Beck, Diekirch, et Simon Lévy et fils, Strasbourg.

Mis à part l'agrandissement des emplacements de stockage, l'équipement de la Brasserie de Diekirch avait peu évolué par rapport aux années quatre-vingt. Même la division des installations en deux parties fut conservée: Bamertal avec malterie, installation de fermentation et salle de brassage; site de la gare avec local de rinçage, cave de garde d'une capacité de 20 000 hl, installation de mise en bouteilles, remises, écuries comptant quarante chevaux de trait belges ainsi que bureaux d'expédition. Aux alentours de 1890, l'exploitation était organisée de la manière suivante: les matières premières et les biens de consommation tels que l'orge, le houblon, le charbon, la poix etc. étaient transportés de la gare à Bamertal, la bière finie était mise dans deux tonneaux en bois destinés à cet usage, d'une capacité de 45 hl chacun, et transportée à la cave de garde. Comme la glace produite par les installations frigorifiques de la brasserie ne suffisait pas à refroidir les grandes quantités de bière, de la glace naturelle du "Alten Wasser" - lac des abords de la ville de Diekirch - fut en outre apportée en hiver sur le site de la brasserie près de la gare. Ce transport était effectué pour l’essentiel par des fermiers des environs.

Les mauvais résultats de la Brasserie de Diekirch dans les années quatre-vingt n'avait pas empêché ses associés de rechercher des possibilités d'agrandissement des sites d’exploitation. Le site de la gare pouvait être agrandi. Le nouveau fondateur de la Brasserie S.A., Louis Godchaux, parvint finalement, en octobre 1890, à acheter les parcelles restantes du terrain de la raffinerie de sucre "Le Progrès", ayant été entre-temps complètement fermée. Dans les années quatre-vingt-dix vinrent s'ajouter quelques propriétés attenantes. Le 18 juillet 1893, la Brasserie de Diekirch reprit la brasserie de Fels exploitée par Nicolas Steichen. Après avoir récupéré les équipements fonctionnels de la brasserie, le bâtiment et la propriété furent revendus. Cette intense activité d'achat et de vente était la preuve que la planification du terrain de la brasserie n'était pas encore achevée.

Selon des rapports de la Chambre de commerce et d'industrie, l'industrie brassicole était la branche d'industrie la plus florissante du pays. En 1890, les 15 brasseurs luxembourgeois produisirent pour la première fois plus de 100 000 hl de bière. Dix ans plus tard, ils réussirent à doubler leur production annuelle. L'augmentation de la production de bière au Grand-Duché au cours de la dernière décennie du 19e siècle, en particulier à partir de 1897, était la conséquence directe d’un accroissement sensible de la consommation de bière à l'étranger - en Belgique et en France, mais aussi en Allemagne, Espagne et Italie. Chaque année, de 1893 jusqu’à la fin du siècle, les plus grandes brasseries exportèrent au total plus de 10 000 hl de bière luxembourgeoise, résultat qui n’avait été atteint qu’une seule fois, en 1885, par la Brasserie de Diekirch. Toutefois, la consommation locale de bière augmenta aussi. Alors que le marché luxembourgeois de la bière était saturé en 1891 avec à peine 100 000 hl, ce chiffre atteignit près de 150 000 hl dès 1897. L’augmentation de la consommation locale de bière avait plusieurs causes: d’abord, dans les années quatre-vingt-dix caractérisées par une croissance continue de l’industrie sidérurgique, l’on assista à une nouvelle augmentation de la population de onze pour-cent. Ensuite, la population active dans les industries du pays ne se laissa plus influencer par le rendement des récoltes viticoles car, même lors d’abondantes récoltes, le prix du vin restait sensiblement supérieur à celui de la bière. En conséquence, les ventes des brasseries ne se ressentaient plus directement des bonnes récoltes viticoles et fruitières que dans les régions agricoles.

Dans les années quatre-vingt-dix, l’acquisition d’orge et de malt devint problématique pour les brasseurs du Grand-Duché. Les fermiers du pays, malgré l’utilisation de l’engrais Thomas, n’étaient pas en mesure de fournir de l’orge en quantité suffisante aux brasseurs. A cela vint s’ajouter le fait que peu de brasseries pouvaient fabriquer elles-mêmes du malt d’orge sur leurs sites de production, et que la seule malterie autonome du Grand-Duché était, vu le développement constant de la consommation de malt, constamment submergée de travail. Ceci eut pour conséquence que l’on importa non seulement de l’orge, mais aussi du malt d’Allemagne, d’Alsace-Lorraine ainsi que de Hongrie et d’Autriche. Le transport de la bière s’effectuait toujours principalement dans des tonneaux de quarante, cinquante ou soixante litres. On notait toutefois une augmentation de la part de bière en bouteilles. Pour les brasseries, ce nouveau type de conditionnement entraîna - en particulier - une modernisation et un agrandissement permanents de leurs installations.

La seconde constitution de la Brasserie S.A. en avril 1890 s’accompagna d’une normalisation de la situation économique de l’entreprise de Diekirch. Le public attribua cette évolution au fait que quelques „intrépides“ avaient décidé de mettre un terme aux hésitations de la Brasserie. La croissance des chiffres de vente des années 1891 à 1893 indiqua que la production, qui était de quelque 35 000 hl au premier exercice, avait augmenté de 10 000 hl durant les deux premières années. Au début des années quatre-vingt-dix, la Brasserie de Diekirch produisait non pas trente mais, à nouveau, près de quarante pour-cent de la bière luxembourgeoise, valeur correspondant au résultat de 1883. L’augmentation de la production annuelle des brasseries luxembourgeoises pouvait être attribuée essentiellement à l’augmentation de la production à Diekirch. Quinze à vingt pour-cent de la bière de Diekirch étaient vendus à l’étranger, si bien que la part de Diekirch dans les exportations de bière du Grand-Duché atteignit cinquante pour-cent. De toute évidence, contrairement au milieu des années quatre-vingt, d’autres brasseries luxembourgeoises se lancèrent également entre-temps dans l’exportation.

Le 1er avril 1891, le conseil d’administration décida d’installer un dépositaire de bière dans la capitale du Grand-Duché. Ainsi fut créé le premier point de vente de bière de Diekirch en-dehors de Diekirch. Lorsque l’on constata que la vente de bière connaissait ainsi un grand succès, le conseil d’administration décida en septembre 1893 d’installer des caves froides et des points de vente là où la consommation de bière de Diekirch était importante. Jusqu’en 1900, les villes de Luxembourg, Esch/Alzette, Differdange, Dudelange, Remich, Troisvierges, Cap, Clervaux, Echternach, Useldingen, Mersch et Grevenmacher furent successivement incluses dans ce programme de commercialisation. C’est également à cette époque que la Brasserie S.A. commença à organiser la vente de bière par le biais de contrats de livraison de bière, comme le faisaient déjà les brasseries Henri Funck et Simon. La vente se monta à plus de 50 000 hl jusqu’à l’exercice 1898/1899. La Belgique, suivie de la France, se dessinait petit à petit comme le principal acheteur de bière, vendue pour onze pour-cent à l’étranger. En revanche, on n’enregistrait plus de succès de vente en Allemagne depuis 1895.

En raison des mesures de restructuration et des innovations techniques, la Brasserie dut, en 1895, augmenter le capital social de 250 000 fr. par l’émission de 500 actions à 500 fr., pour le porter à 1,25 million. Les travaux de modernisation sur le site de l’exploitation servirent à améliorer la qualité de la bière. Parallèlement à un grand nombre de mesures de moindre importance, une nouvelle cave destinée à la mise en bouteilles fut construite et l’on acheta 18 à 20 tonneaux de conservation en bois. La direction de la Brasserie avait en permanence le souci non seulement de la qualité de sa bière, mais aussi du réemploi des déchets - essentiellement des restes de malt (la drague de la bière). A cet effet, il fut décidé de développer l’élevage de cochons.

A la fin de la première décennie, la nouvelle Brasserie de Diekirch se démarqua par rapport à la concurrence grâce à quelques facteurs. Cette Brasserie, la seule constituée en S.A. au Luxembourg, utilisait exclusivement des matières premières de haute qualité. L’orge provenait du Palatinat rhénan et de Moravie et la plus grande partie était traitée dans la propre malterie de Bamertal. Le houblon était importé de Bavière et de Tchécoslovaquie. La bière fabriquée à partir de ces matières premières et de l’eau du ruisseau de Bamertal et avec le procédé de basse fermentation continua d’être brassée toute l’année dans ses deux variétés, la blonde type Pilsen et la brune type Munich. La qualité de la bière de Diekirch fut confirmée par une série de distinctions lors d’expositions internationales. A l’“Exposition spéciale de brasserie de Paris“ en 1890, la Brasserie S.A. se vit décerner un “Diplôme d’Honneur”; puis, aux expositions universelles de Gand en 1894 et de Bruxelles en 1898, un brevet accompagné d’une médaille d’or et une médaille de bronze. La presse luxembourgeoise de l’année 1895 souligna particulièrement la notoriété de la bière à l’étranger, parallèlement à sa qualité, fruit d’un système réfrigérant conçu spécialement pour la mise en bouteilles et en tonneaux à Diekirch.


De plus, la Brasserie de Diekirch se fit remarquer par sa capacité de brassage. Tant après sa première création en 1871 qu’après la création nouvelle en 1890, sa consommation de malt était la plus élevée du Luxembourg. Par conséquent, elle occupa au Grand-Duché, dans la première moitié des années quatre-vingt-dix, la première place en tant que brasseur contribuable et producteur de bière. Ce développement indiquait que la Brasserie de Diekirch, même aux temps où les affaires étaient moins florissantes, occupait incontestablement la première position dans l’industrie brassicole luxembourgeoise. Après avoir surmonté les problèmes financiers de ses débuts (voir plus haut), la Brasserie put continuer à renforcer sa position de plus grande exploitation brassicole du Luxembourg. La plus grosse partie de la bière exportée par le Luxembourg provenait de la région de Diekirch. Les chiffres de vente de Diekirch réalisés dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix le confirment. La Brasserie de Diekirch franchit ainsi le passage vers le 20e siècle non seulement en tant que plus grand fabricant de bière - et de loin!-, mais aussi en tant que plus grand exportateur de bière du Grand-Duché.


Le 20e siècle commença pour le Grand-Duché de Luxembourg par une légère crise économique, également perceptible dans l’industrie des biens de consommation à partir de 1901. La production de bière des 13 brasseries luxembourgeoises recula, par rapport au résultat record de l’année précédente, de quelque 20 000 hl (soit 10 %). Les résultats de vente atteints durant ces années par la Brasserie de Diekirch S.A. affichèrent la même tendance. Après une année 1900 positive, qui sembla introduire une phase de succès et de stabilité pour l’entreprise de Diekirch, la production dut être baissée de près de 10 000 hl au cours de la crise économique des deux années suivantes, et retomba ainsi au niveau de 1897. La vente de la bière de Diekirch put être de nouveau augmentée chaque année dès l’exercice 1902/03.

La quantité de bière exportée par la Brasserie de Diekirch en Belgique, en France ainsi qu’également, à partir de 1904, de nouveau en Allemagne, diminua d’un tiers entre 1900 et 1905. Ce résultat correspondait lui aussi à l’évolution générale au Grand-Duché. Au début du 20e siècle, la préoccupation première de la Brasserie de Diekirch était d’élargir le marché national. Les citoyens luxembourgeois furent considérés comme des acheteurs sûrs, d’autant qu’ils avaient découvert très tôt la qualité et la constance des produits de Diekirch. Grâce enfin, entre autres, au succès à nouveau recueilli lors de l’exposition universelle de Liège en 1905, où la bière de Diekirch reçut le premier prix, les consommateurs de bière luxembourgeois savaient que de la bonne eau pour le brassage coulait dans la région frontalière située entre le Gutland et l’Ösling, que seul du bon houblon était importé et que le malt était traité proprement et par des spécialistes. Convaincre - encore et encore - ces consommateurs de la qualité supérieure du produit et les fidéliser devint ainsi l’un des objectifs de l’entreprise. La conclusion de contrats de livraison de bière avec de gros clients luxembourgeois suscitait un intérêt particulier. La réforme fiscale du secteur brassicole entreprise par la communauté fiscale brassicole d’Allemagne du Nord entraîna pour les brasseries luxembourgeoises un échelonnement des taux d’imposition et un alignement de leurs taux fiscaux sur ceux, plus élevés, pratiqués en Allemagne. Les brasseurs se virent lourdement imposés lorsque la loi allemande sur l’imposition du secteur brassicole entra également en vigueur au Grand-Duché le 1er juillet 1906. La loi apportait trois nouveautés essentielles. Premièrement, la loi sur la pureté pour la bière à fermentation basse fit pour la première fois l’objet d’un texte légal. Cette réglementation n’était pas synonyme de grands changements pour les brasseurs luxembourgeois, étant donné qu’ils brassaient déjà selon cette loi. Deuxièmement, les impôts sur les brasseries furent, comme prévu, échelonnés en fonction de la consommation de malt. La troisième nouveauté concernait les grandes brasseries et prévoyait l’introduction d’un impôt sur la mouture.

En dépit des charges accrues (les accises sur le malt, les charges salariales pour l’ensemble du personnel (250) des brasseries luxembourgeoises et les dépenses en combustibles et matières premières atteignirent des proportions “exorbitantes” en 1906/07), les brasseurs luxembourgeois réussirent à augmenter la production annuelle à partir de 1906. Face à une concurrence étrangère accrue, les prix de vente, quant à eux, ne furent pas relevés. Seule la consommation de bière, en augmentation à l’échelle mondiale en 1907 malgré une légère crise économique générale, laissa un peu d’espoir aux propriétaires de brasseries du Luxembourg.

L’entrée du Luxembourg dans la communauté fiscale brassicole d’Allemagne du Nord avait été rendue possible par l’adoption de la loi allemande sur l’imposition de l’industrie brassicole de 1906. Le contrat nécessaire à cette entrée fut conclu le 2 mars 1907 et entra en vigueur le 1er avril 1907. Dans la communauté, la perception des impôts continua d’être effectuée par les “autorités nationales”, les recettes, déduction faite des remboursements d’impôts et des frais d’administration, furent toutefois réparties entre les membres au prorata du nombre d’habitants. Le Luxembourg avait ainsi perdu toute autonomie au niveau de la taxation des matières destinées à la production de bière. Tant les taxes transitoires que la taxation des matières destinées à la production étaient soumises aux règles de la communauté. L’adhésion ne prit fin, conformément au contrat et abstraction faite d’un préavis, que lorsque le Luxembourg se retira de l’union douanière.

Pour la Brasserie de Diekirch S.A., le plus grand utilisateur de malt pour brasseries du Grand-Duché de Luxembourg, la réforme fiscale de la brasserie de 1906 fut synonyme de charges financières particulièrement lourdes. En moyenne, les douze brasseries luxembourgeoises payèrent soixante pour-cent d’accises en plus. Il devint pourtant évident que, conformément à l’échelonnement des taux d’imposition, la charge augmentait avec la taille de l’exploitation. En conséquence, les impôts augmentèrent de 99 % pour la Brasserie de Diekirch S.A., contre 2,5 % seulement pour les plus petites brasseries. La nouvelle réglementation sur le remboursement des impôts pour la bière d’exportation concernait aussi au premier chef la grande Brasserie de Diekirch. En entrant dans la communauté fiscale brassicole d’Allemagne du Nord, le Grand-Duché de Luxembourg avait espéré des avantages en matière d’autonomie. En tant que plus petit membre - 246 455 habitants contre 48 227 790 pour l’ensemble de la communauté -, seule une partie des impôts récoltés sur son propre territoire revenait au Grand-Duché.

Le relèvement des impôts prévu du côté allemand au 1er juin 1909 déclencha des protestations parmi toutes les personnes concernées, les brasseurs, les débitants et les consommateurs, ce qui poussa le Luxembourg à se retirer, le 1er août 1909, de la communauté fiscale brassicole d’Allemagne du Nord. L’introduction d’une nouvelle loi sur les cafés en 1909 doit être considérée comme une autre réaction à la protestation des brasseurs en 1908; cette loi fixait le nombre des débits de bière à un maximum de 3 535. L’on avait constaté, dans quelques villes du Luxembourg, un rapport de seulement soixante-dix personnes pour une auberge. Jusqu’en 1912, l’objectif fut le suivant: une auberge pour 150 habitants.

Le retrait du Luxembourg de la communauté fiscale brassicole s’avéra être la bonne décision. L’année 1910 manqua le début de l’essor de la brasserie luxembourgeoise. Parallèlement à la croissance de la population, la consommation de bière au Luxembourg avait continué à se développer. De plus, il fut décidé, d’une part, de réduire - ne fut-ce qu’un peu - les importations de bière allemande et, d’autre part, de développer l’exportation vers les Etats voisins. Après avoir mis l’extension du marché intérieur au premier plan dans les années quatre-vingt-dix, l’accent fut mis les années suivantes sur un accroissement des ventes à l’étranger. Avant la Première Guerre mondiale, 12 000 hl de bière luxembourgeoise étaient exportés chaque année. Les Belges étant connus pour être de grands consommateurs de bière, l’on créa à Bruxelles, Anvers, Malines, Liège et Verviers des succursales de la Brasserie de Diekirch. Les chiffres de vente montrent que les exportations vers ce pays frontalier progressèrent chaque année à partir de 1908. Même l’exportation vers la France et l’Allemagne ne fut pas interrompue définitivement.

Avec l’électrification de la ville de Diekirch en 1897, l’achèvement de la centrale d’électricité et de gaz en 1907 et la pose d’une conduite d’eau au cours des trois années qui suivirent, la ville était devenue, en ce début de 20e siècle, un pôle d’attraction industriel. La Brasserie S.A. fut raccordée au réseau électrique de la ville, mais elle refusa dans un premier temps le raccordement aux réseaux d’alimentation en eau potable et d’évacuation des eaux usées de la ville, car elle puisait l’eau de ses propres puits artésiens; elle demanda ce raccordement trente ans plus tard seulement.

Même la ville de Diekirch ne pouvait plus continuer à aider la Brasserie établie dans la localité pour résoudre le problème du refroidissement suffisant des produits, un problème qui occupait en été chacune des brasseries en activité. La Brasserie de Diekirch possédait certes au moins deux machines à glace, mais la glace ainsi produite ne suffisait pas pendant les mois d’été. En outre, après avoir complètement épuisé quelques étangs et également la Sauer, l’on manquait de grandes sources naturelles de glace dans les environs immédiats du site de la brasserie, glace avec laquelle on aurait pu remplir les caves de garde pendant les mois d’hiver. A la fin de l’année 1906, la Brasserie de Diekirch trouva une solution dans la ville de Luxembourg, à 35 km de là: elle prit à bail un lac, le “Brasseur Weiher”, connu autrefois comme le paradis du patin à glace des Luxembourgeois. Après une première année de réussite, le conseil d’administration autorisa le bail d’un autre étang gelé à Clervaux, situé à 32 km. Les grandes caves de garde de la Brasserie de Diekirch furent ainsi tellement approvisionnées en glace en hiver que celle-ci pouvait même encore être fournie aux clients en été. La bonne qualité de la bière fut ainsi de nouveau assurée.

Le problème du transport entre les différents sites de production resta sans solution, étant donné que la ville de Diekirch refusa la construction d’une voie ferrée en tant que moyen de transport à travers la ville. Des voitures à chevaux continuèrent donc à assurer le transport dans la ville de Diekirch et les régions proches. Le chemin de fer grand-ducal ne fut utilisé que pour l’expédition croissante dans des régions plus lointaines. Sur son site de la gare, la Brasserie disposait de ses 14 propres wagons à bière, 25 voitures à bière et    42 chevaux.
En 1905, le fondateur de l’entreprise et président du conseil d’administration de l’époque,               M. Godchaux, se retira. Le nouveau conseil d’administration fut constitué lors de l’assemblée générale en novembre 1906, avec Charles Bech pour président ainsi qu’Adolphe Türck,  Jean-Pierre Brasseur, Alexis Heck et Victor Wahl. Paul Gredt et Lucien Salentiny siégeaient au conseil de surveillance. En 1909, la Banque Internationale fit son entrée pour la première fois à l’assemblée générale en tant qu’ actionnaire principal avec 334 actions. Vingt ans après la création de la nouvelle société en 1890, la direction de la Brasserie de Diekirch se déclarait satisfaite de l’évolution de l’exploitation. L’on avait réussi à doubler la production et à augmenter le chiffre d’affaires, qui passa ainsi de près de 770 000 fr. pour l’exercice 1890/91 à 135 0000 fr. pour l’exercice 1910/11.

L’augmentation permanente de la production de bière se reflète également dans les chiffres de vente de la Brasserie de Diekirch pour le Luxembourg et à l’étranger. Dans les années 1910/11 à 1913/14, après le retrait de la communauté fiscale brassicole d’Allemagne du Nord, la quantité vendue augmenta d’au moins    7 000 hl, pour atteindre 79 961 hl, dont quelque 5 000 furent écoulés en Belgique. L’exportation globale de Diekirch pour l’année 1913 atteignit    8 042 hl, soit la moitié de l’exportation globale du Luxembourg.

Les tentatives d’exportation de bière en Allemagne furent temporairement abandonnées. Au lieu de cela, de nouveaux débouchés furent assurés parallèlement aux marchés belges et français. La Brasserie de Diekirch ne craignait aucunement les coûts plus élevés engendrés par une expédition outre-mer. “Der Landwirt” rapporta en 1912 que l’on buvait avec plaisir la bière de Diekirch en Afrique et en Amérique en raison de son bon goût et de sa saine valeur nutritive. “Si le nom de la petite ville sur la Sauer était avantageusement connu à l’étranger, cela était dû en grande partie à la Brasserie S.A..”  Celle-ci aurait apporté la prospérité à la ville. Beaucoup de familles vivaient d’elle. Au niveau de la politique économique et sociale, elle aurait acquis une grande importance dans la ville. Ville et Brasserie seraient dépendantes l’une de l’autre et tant la municipalité que la Brasserie veillaient à entretenir de bonnes relations.

En 1912, l’on remit à chacun des ouvriers employés à la Brasserie - lors de son entrée dans l’entreprise - un exemplaire du règlement du travail. Ce règlement remontait à l’année 1899 et régissait les conditions de travail suivantes: l’entrée en fonction et le contrat de travail, la sortie du travail, les temps de travail et de repos, le revenu, la prévention des accidents, etc.

Le bilan dressé en 1910 de la Brasserie de Diekirch afficha pour la première fois le chapitre “Fonds de prévision”. L’entreprise constituait ainsi des provisions de prévoyance et/ou de retraite pour son personnel. Ces provisions augmentèrent tous les ans. Un total de 100 000 fr. passa dans ces fonds entre 1910 et 1916. La Brasserie de Diekirch offrait d’autres prestations importantes sur le plan de la politique sociale: depuis le début du 20e siècle, les membres du personnel furent assurés obligatoirement par une assurance accidents-invalidité ainsi que par une caisse maladie de l’entreprise.


Après une année 1913 pleine de succès, les brasseurs du Luxembourg durent à nouveau diminuer leur production. Les répercussions de la guerre en Europe se firent sentir en particulier par une pénurie de matières premières, un renchérissement consécutif des prix de l’orge, et une baisse de la consommation de bière. Leur situation fut encore rendue plus difficile par le départ de la main-d’oeuvre étrangère, représentant 15 000 personnes au total, rappelées dans l’armée de leur pays natal. Parmi eux se trouvaient également des ouvriers brassicoles qualifiés. Quelques brasseries suspendirent leur exploitation. Le manque de malt obligea à contingenter sa consommation. La chose positive à noter est que le personnel avait atteint un niveau de travail élevé. Les manques en personnel qualifié occasionnés par le déclenchement de la guerre purent être comblés par le recrutement de nouveaux travailleurs nationaux qui furent formés aux activités de la brasserie.

Même la Brasserie de Diekirch S.A. traversa pendant la guerre une période difficile, caractérisée par une faible production, que, par rapport aux concurrents, elle surmonta relativement bien. Elle demeura le premier producteur de bière du Grand-Duché de Luxembourg. En 1916, elle utilisa à elle seule un tiers du total de la quantité de malt brassé en bière du Luxembourg. De la même manière, elle conserva sa position de premier contribuable. En raison du manque en matières premières, le maître brasseur Adolf Griebener développa un ersatz de bière, produit sans houblon ni malt. C’est de cette manière que la Brasserie de Diekirch put encore vendre près de 20 000 hl de bière au cours de l’exercice 1916/17. Les affaires allèrent de nouveau mieux dès 1917.

En 1917, la Brasserie de Diekirch acheta deux terrains au nord de la ville, dont un sur le Herrenberg, qui s’avéra particulièrement précieux pour la brasserie, en raison de la présence de plusieurs sources, les “sources de Belleflesschen”. L’année suivante, la Brasserie S.A. obtint de la ville de Diekirch les droits de jouissance de l’eau. Elle acquit ainsi le droit d’épuiser totalement toutes les sources et même de conduire l’eau jusqu’à la brasserie par des conduites souterraines traversant des propriétés étrangères. Le critère de pureté de l’eau de source nécessaire à une bière de qualité étant ainsi rempli, l’avenir de la brasserie était assuré.

L’eau des “sources de Belleflesschen” est idéale - aujourd’hui encore - comme eau de brassage. Elle se distingue par sa richesse en minéraux et sa faible teneur en calcaire. L’eau provient des Ardennes. En raison de la stratification du Herrenberg, elle ne sort à Diekirch que du versant sud-est, où elle peut être récoltée à plusieurs sources. Ces sources jaillissent à une hauteur d’environ 150 mètres au-dessus du niveau de la Sauer. Même par de hautes températures estivales torrides, elles ne tarissent pas.


La production de bière des dix brasseries luxembourgeoises encore en activité prit lentement un nouvel essor dès la première année de paix. De 1919 à 1920, la production annuelle passa de 100 000 hl à 175 300 hl. Les résultats financiers de la branche étaient toujours insatisfaisants. Les charges financières des brasseries augmentèrent considérablement en raison des prix des matières premières et des frais généraux élevés, et de la hausse des accises, pour des prix de vente à l’hectolitre de bière en revanche stagnants de 1920 à 1924. Les brasseurs espéraient une amélioration de la  situation par une nouvelle reprise des exportations de bière grâce à une union économique. A la différence des viticulteurs, qui regrettaient le partenariat économique avec l’Allemagne, et n’attendaient aucun avantage du commerce avec la Belgique, les brasseurs luxembourgeois étaient extrêmement intéressés par la création d’une union avec la Belgique, connue d’eux déjà depuis l’avant-guerre comme le “pays de la bière”.

Après que le Luxembourg, membre de l’union douanière, eût à plusieurs reprises - jusqu’en 1909 - adopté la législation fiscale allemande applicable aux brasseries et pris en toute indépendance, au cours des 13 années suivantes, des décisions reposant sur les vieilles dispositions allemandes, la législation belge fut appliquée dès 1922, en conséquence de la création de l’Union Economique Belgo-Luxembourgeoise (UEBL). En Belgique, l’imposition de la bière s’effectuait également sous la forme d’un impôt sur la consommation des matières destinées à la production de bière. L’imposition visait tous les genres de céréales et de fécules (farine déclarée); il apparaissait ainsi déjà clairement que la loi sur la pureté ne s’appliquait plus aux brasseurs luxembourgeois. Conformément à l’acte constitutif de l’UEBL, les accises sur la bière, le vin, le vin mousseux et le vinaigre devaient être considérées comme des recettes communes, à calculer en fonction du nombre d’habitants. En conséquence, l’indépendance dont jouissaient à nouveau les brasseurs luxembourgeois depuis leur retrait de la communauté fiscale brassicole d’Allemagne du Nord treize ans auparavant, fut à nouveau perdue. Ils se retrouvèrent une nouvelle fois sous le contrôle d’un partenaire économique et au sein d’une communauté fiscale. Avec la Belgique, leur nouveau partenaire économique, ils avaient toutefois gagné de bons débouchés pour leurs produits. Dans les années d’après-guerre, l’industrie brassicole luxembourgeoise enregistra une croissance annuelle de sa production d’environ 50 000 hl.

Malgré les charges financières élevées supportées par les brasseries, toute hausse du prix de vente fut interdite jusqu’en 1924 en raison d’une concurrence accrue sur le marché de la bière et d’un pouvoir d’achat encore plus bas de la population au Luxembourg et en Belgique. Dans leur partenariat avec la Belgique, les producteurs de bière luxembourgeois étaient restés fidèles à deux principes de base: ils tentèrent de retarder le plus longtemps possible un relèvement des prix de vente tout en s’efforçant de maintenir malgré tout la qualité de leurs produits. Ils étaient tous d’avis de ne faire baisser ni la valeur nutritive ni la densité de la bière, de n’utiliser aucune matière de remplacement, et par conséquent de respecter - même en l’absence de toute obligation légale - la loi sur la pureté, de recourir aux techniques de pointe pour ainsi conquérir de nouveaux consommateurs luxembourgeois et belges. Les augmentations des prix des matières premières comme le houblon, la perception des impôts et l’introduction de la journée de huit heures en 1925 entraînèrent la hausse des coûts de production et, peu après, également celle des prix de vente.

Dans la seconde moitié des années vingt, la quantité de bière produite augmenta à nouveau d’année en année. La situation financière des dix brasseries, subissant les retombées de l’inflation galopante qui sévissait en Allemagne resta problématique. Les consommateurs de bière devinrent, au cours des années vingt, de véritables connaisseurs, évolution qui se révéla alors extrêmement positive pour les brasseurs du Luxembourg, lesquels poursuivaient leurs efforts pour obtenir une bière de première classe. Le plus important n’était pas le prix de la bière, mais d’abord son goût, sa valeur nutritive et sa densité. Désormais, les patrons de brasseries étaient en mesure d’adapter les prix de vente aux coûts occasionnés par la fabrication de la bière sans devoir craindre la concurrence étrangère sur le marché belgo-luxembourgeois. La Belgique ne représentait aucune menace pour l’évolution de la production de bière au Grand-Duché. Etant donné que - sur le plan qualitatif essentiellement - les brasseurs belges n’étaient pas en mesure de soutenir la comparaison avec leur voisin, un grand nombre de brasseries familiales avaient cessé leurs activités, tandis que les brasseurs luxembourgeois étendaient leurs activités. L’on peut donc ici dire, à raison, que l’industrie brassicole luxembourgeoise fut la branche qui profita le plus de la constitution de l’UEBL. Ce succès des brasseurs du Grand-Duché était toutefois à attribuer également à leur propre mérite.

La production de bière dépassa le seuil des      500 000 hectolitres en 1929. Un dixième de la bière fut exportée, tandis que l’importation de bière au Grand-Duché s’arrêta presque entièrement. Ainsi donc, les quelque 300 000 habitants du Luxembourg consommèrent environ      450 000 hl de bière en un an, soit 150 litres par habitant. Avec une production annuelle de 562 808 hl en 1930, le secteur brassicole luxembourgeois atteignait un point culminant, qui ne put être de nouveau atteint que quarante ans plus tard. Les propriétaires de brasseries profitèrent des années fructueuses pour étendre leurs exploitations.

La Brasserie de Diekirch S.A. avait déjà surmonté la baisse de sa production au cours de la dernière année de guerre, tandis que les autres brasseries du Grand-Duché ne connurent cette récession que cette année-là. Pour des raisons d’âge, l’on procéda, au début des années vingt, à un changement dans l’attribution des sièges de la direction de la Brasserie S.A. Le nouveau conseil d’administration était composé de Adolphe Türk, président, ainsi que de Salentiny, Brasseur, Reining, Neumann et Bech jun.; l’actionnaire de longue date, Paul Gredt, fut élu au conseil de surveillance aux côtés de Jules Küborn.

Comme le nom de la bière de Diekirch, bière de qualité supérieure, n’était tombé dans l’oubli ni au Luxembourg, ni à l’étranger, les résultats de vente furent à nouveau satisfaisants au début des années vingt. Le marché belge avait été redécouvert bien avant la constitution de l’UEBL. En 1921/22, 3 369 hl de la production annuelle, s’élevant à environ 58 000 hl, furent exportés vers le pays voisin. Au cours des premières années d’expansion, durant lesquelles la loi sur la pureté était encore en vigueur pour les brasseries du Luxembourg, le conseil d’administration de la Brasserie S.A. fixa un principe essentiel: l’utilisation de matières de remplacement pour le brassage fut strictement interdite au maître brasseur. En 1923, suite à la fondation de l’union économique avec la Belgique et la fin des turbulences monétaires, la Brasserie de Diekirch atteint, en même temps que ses neuf concurrents locaux, une production annuelle supérieure à celle de la dernière année d’avant-guerre. La Brasserie de Diekirch S.A. se démarqua par son apparition sur le marché belge avec un cinquième de sa production annuelle. Les succès en matière de vente firent augmenter la production annuelle à plus de 100 000 hl en l’espace de seulement cinq ans. En même temps, l’exportation, qui ne s’effectuait que vers la Belgique, se chiffrait à 20 000 hl. Même l’évolution inflationniste des prix ne freina nullement la vente de bière. Les chiffres de vente augmentèrent continuellement.

Grâce aux résultats de vente obtenus durant les années vingt, la part de la Brasserie de Diekirch dans la production globale de bière du Grand-Duché était du même ordre qu’avant la guerre, à savoir 22-25 %. L’exportation de bière - en augmentation chaque année elle aussi - fit grimper la part de la Brasserie S.A. dans l’exportation globale à plus de 30 %. La Brasserie de Diekirch s’était affirmée en tant que brasserie exportatrice.

La Brasserie de Diekirch S.A. continua d’avoir le vent en poupe jusqu’en 1930/31 et parvint à un résultat record, avec des productions de plus de 120 000 hl et des chiffres d’affaires de plus de vingt millions de francs par an. En raison de la bonne conjoncture économique des années vingt, le moment était venu de procéder à de gros investissements, considérés comme nécessaires par ailleurs en raison des résultats de vente élevés. Après la stabilisation du franc belge, un Conseil Technique mis en place spécialement à cet effet commença à élaborer des plans et établir des devis estimatifs. Il fallait lancer dès que possible un projet de construction. Après avoir longtemps pesé le pour et le contre, le conseil d’administration décida qu’une construction nouvelle regroupant les deux parties de l’exploitation sur le site de sept hectares de la gare était la meilleure solution - à long terme surtout - malgré les coûts sensiblement plus élevés. Le nouveau directeur de la Brasserie de Diekirch, François Mongenast, joua un rôle important dans l’organisation de l’entreprise durant les travaux de construction. A ses côtés se trouvaient Sepp Krell, maître brasseur, et François Borck, chef de bureau.

Techniquement parlant, les brasseries allemandes restaient la référence. C’est pourquoi, bien que les relations économiques entre le Luxembourg et l’Allemagne fussent suspendues, l’on fit venir de Francfort-sur-l’Oder les plans des nouvelles installations de Diekirch, comme pour l’équipement de base de la brasserie en 1871. Dès l’assemblée générale de 1927, les actionnaires furent informés de l’achèvement d’un nouveau dépôt et d’une nouvelle installation frigorifique. Dans la perspective du regroupement des parties de la brasserie, la ville de Diekirch avait octroyé à la brasserie une autorisation très importante: la prolongation des conduites d’eau, qui reliaient à l’époque les sources du Herrenberg à Bamertal, jusqu’à la gare à travers tout le territoire de la ville. L’eau des sources de Belleflesschen convenant particulièrement bien comme eau de brassage, la brasserie fut alors enchantée de cette décision. Le nouveau complexe brassicole fut achevé au bout de trois ans, sans interrompre l’exploitation de la brasserie.

Par rapport à d’autres pays, la crise économique mondiale des années 1929 et 1930 ne se fit sentir que tardivement dans l’industrie brassicole du Grand-Duché du Luxembourg. Il est possible que cela fût lié au fait que même l’industrie lourde du pays enregistrait encore des succès en 1930. En outre, les investissements s’avérèrent payants. Le recul croissant du chiffre d’affaires à partir de la fin 1930 ramena, pendant plusieurs années, la production à 400 000 hectolitres. Le marché local de la bière était déjà saturé avec 300 000-350 000 hl. De nouveaux moyens publicitaires furent utilisés pour contrer l’augmentation de la consommation de bière allemande. Pour vanter leur produit, les brasseurs inaugurèrent de nouvelles formes de publicité: les enseignes lumineuses et les inscriptions publicitaires sur les verres. De plus, ils ouvrirent aux visiteurs leurs locaux de production. Les personnes intéressées purent, dès 1931, visiter les brasseries et goûter la bière sur place.

Les charges financières des brasseries, les prix des matières premières et les accises augmentèrent de nouveau avec la crise. Une campagne contre la bière du Grand-Duché fut lancée à partir de l’étranger - en particulier d’Allemagne - suite à une montée des prix, et l’on tenta d’introduire en force la bière étrangère sur le marché luxembourgeois et d’imposer ainsi une concurrence réelle aux produits nationaux. La position réservée de la majorité des consommateurs de bière parmi la population luxembourgeoise vis-à-vis de la bière “étrangère” fit échouer toutes ces tentatives. A l’image de la clientèle locale, la clientèle belge confirma sa fidélité à la bière luxembourgeoise. En 1932, l’on exporta en Belgique vingt pour-cent de la bière luxembourgeoise. En 1933, la crise n’était pas encore surmontée. Beaucoup de clients parmi la main-d’oeuvre du Minettebecken ne pouvaient plus s’offrir de bière au quotidien, si bien que la consommation baissa continuellement. En dépit des charges élevées qui incombaient aux brasseries, ces dernières réussirent, au prix de gros efforts, à conserver 560 employés.

La mise en service, en 1930, des nouvelles installations d’exploitation permit à la Brasserie S.A. d’éviter les répercussions de la crise économique mondiale. Avec la vente de 123 199 hl de bière pour l’exercice 1930/31, l’entreprise enregistra un résultat record. Au début des années trente, la Brasserie S.A. restait le plus grand producteur et exportateur de bière du pays: environ un quart de la production annuelle globale et près d’un tiers de la bière d’exportation luxembourgeoise provenaient de Diekirch. De la bière fut produite pour la première fois par la nouvelle brasserie sur le site de l’ancienne raffinerie de sucre près de la gare de Diekirch le 7 juillet 1930. Le complexe achevé, une usine avec cheminée s’éleva sur le quartier industriel de la ville. Elle marqua la silhouette de la ville de Diekirch des décennies durant. Après que l’accès au public des installations de production fût également permis dans d’autres brasseries, la Brasserie de Diekirch offrit également au client intéressé de visiter les nouveaux locaux, que l’on peut visiter encore aujourd’hui.

Grâce aux travaux de reconstruction, la Brasserie avait accru ses capacités. La planification du nouvel agencement devait répondre à trois objectifs: premièrement, rationalisation de la production et amélioration conjointe de la qualité; deuxièmement, amélioration des conditions de travail pour le personnel et, troisièmement, regroupement des sites d’exploitation et de stockage jusqu’à présent très dispersés. Tous les objectifs furent réalisés. L’ensemble du processus de fabrication de la bière, y compris le stockage et la mise en bouteilles de la bière, fut exécuté sur le site de la gare. La technique des nouveaux brassins en cuivre permettait d’en refroidir le contenu, en une heure, de quatre-vingt-dix à cinq degrés Celsius. Pour obtenir des conditions d’hygiène optimales, la salle de brassage fut carrelée, aérée uniquement par de l’air stérilisé, son plafond pouvait également être chauffé pour éviter la formation d’eau de condensation. Tous les silos en bois furent aussi remplacés par des silos en fer. Une “boisson hygiénique, agréable et bienfaisante”  fut ainsi garantie aux clients. Les 14/15 décembre 1930, la nouvelle construction fut inaugurée par une fête pour le personnel à laquelle participaient des invités d’honneur. L’on remercia particulièrement l’ancien directeur Jacques Hemmer, auquel on devait d’avoir pris l’initiative du nouvel agencement du site de la Brasserie.

Tandis que la production annuelle des brasseries luxembourgeoises baissait d’env. 20 à 25 pour-cent après la crise économique mondiale, la Brasserie de Diekirch n’avait dû baisser sa production que de dix pour-cent. L’entreprise renforçait ainsi sa position de leader dans le pays. En 1934/35 environ un tiers de la production fut vendu en Belgique, partenaire économique et seul pays vers lequel la Brasserie de Diekirch exportait à cette époque. Même si elle n’avait enregistré aucun nouveau résultat record au cours des années trente, la nouvelle Brasserie fonctionnait à plein rendement.


Durant la Seconde Guerre mondiale, le travail effectué dans les douze brasseries du Luxembourg, soumis à l’administration allemande, fut régi - à compter d’octobre 1940 - par les dispositions de l’administration civile allemande. Des statistiques sur la production et la vente de bière luxembourgeoise de 1939 à 1946 inclus sont inexistantes. Selon les estimations, la production annuelle des cinq seules exploitations produisant sans interruption a baissé, jusqu’en 1945, à 76 000 hl, ce qui correspondait à un cinquième des résultats d’avant-guerre. Bien que le prix du vin ait plus fortement augmenté que celui de la bière, les Luxembourgeois consommèrent plus de vin que de bière durant la guerre.

Conformément à l’Ordonnance du 4 septembre 1940, la Brasserie de Diekirch dut porter le nom allemand (Aktienbrauerei Diekirch AG, Diekirch). Le nom français dut disparaître de tous les panneaux, étiquettes, en-têtes, etc. Charles Bech, président du conseil d’administration de la Brasserie S.A. depuis de nombreuses années et temporairement remplacé par Max Lambert en 1943, ainsi que les directeurs Franz Mongenast et Charles Leclère dirigèrent l’entreprise tout au long de la période d’occupation, jalonnée de nombreuses difficultés. L’on manquait de plus en plus de moyens de production, le parc de voitures fut réquisitionné et la vente de la bière en Belgique était de plus en plus difficile. L’agitation de ces années se fit également sentir dans les nombreux changements parmi les membres du conseil d’administration pour cause de maladie, de décès, de déportation et de résiliation. Après que les commissaires eurent été supprimés en 1942 sur disposition de l’administration civile allemande, des experts-comptables allemands procédèrent à l’examen des livres de la société. La brasserie continua de produire durant toute la guerre. Toutefois, la production baissa à compter de l’exercice 1938/1939, au cours duquel Diekirch produisit un quart de la quantité de bière fabriquée au Luxembourg, de 55% à moins de   50 000 hl jusqu’à la fin de la guerre. Jusqu’en 1941/42, la production s’élevait encore à plus de 80 000 hl, et les exportations vers la Belgique purent être maintenues jusqu’à cette date à plus de 20 000 hl.

Par rapport à la production globale de bière au Luxembourg, l’exploitation de Diekirch brassait deux tiers de la bière luxembourgeoise à la fin de la guerre, le tiers restant étant produit par les quatre autres brasseries. Par conséquent, comme durant la Première Guerre mondiale, la Brasserie avait pu - malgré cette situation de crise - se maintenir à la première place des brasseries luxembourgeoises. Les bénéfices évoluaient toujours aussi favorablement, si bien que la Brasserie pu acheter aux enchères le 27 mars 1942, l’Hôtel du Parc de Diekirch, situé près de la gare, pour 102000 de reichsmark. Cette acquisition eut lieu à la demande de la ville de Diekirch, qui voulait vraisemblablement éviter que l’hôtel ne tombe entre les mains des Allemands. Revendu à la ville de Diekirch en 1957, l’hôtel abrite aujourd’hui la mairie de Diekirch.

Pour la première fois depuis l’inauguration du nouveau complexe brassicole à la gare de Diekirch, le site d’exploitation de Bamertal fut remis en marche durant la Seconde Guerre mondiale. A l’initiative d’un habitant de Diekirch, l’on n’y fabriquait cependant plus de bière mais du jus de pomme. Les nombreux arboriculteurs vivant à et autour de Diekirch fournissaient l’exploitation en pommes. En 1944, 23 194 litres de jus de pommes furent mis en bouteilles.

En automne 1944 commença une période de pertes: le Grand-Duché fut libéré par les Américains le 11 septembre 1944, mais les troupes allemandes restèrent à la frontière Est et préparaient l’offensive des Ardennes. La Brasserie de Diekirch ne produisait certainement presque plus de bière au cours de la seconde moitié de l’année 1944 et, pour la première fois depuis sa seconde fondation en 1890, elle réalisa des pertes.

Une base américaine avait été aménagée dans la ville de Diekirch, qui fut bombardée par les troupes allemandes le 16 décembre 1944 au début de l’offensive des Ardennes. Le 19 décembre, tous les habitants - 361 personnes âgées pour la plupart, dont également le personnel de la Brasserie - furent finalement évacués, dans le cadre d’une action nocturne menée avec l’aide des Américains. Le lendemain, les Allemands entrèrent dans la ville de Diekirch. Après avoir été encerclée et bombardée une journée durant par les forces américaines, Diekirch fut définitivement libérée le 18 janvier 1945. Lors de cette action de libération, pendant laquelle les derniers habitants de la ville s’étaient réfugiés dans les caves de la Brasserie, des quartiers de Diekirch furent fortement détruits, surtout à Bamertal et dans le centre ville, autour du palais de justice. La Brasserie résista à toutes les secousses. Les réserves alimentaires qui s’y trouvaient permirent à la population de se nourrir encore pendant des semaines. La mort de quelques personnes dans la Brasserie n’était due qu’au froid.


Jusqu’en 1947, les douze brasseries luxembourgeoises des années d’avant-guerre redémarrèrent leurs activités. Ce nouveau démarrage s’effectua sans problème et sans délai, car seules les brasseries de Wiltz avaient subi de sérieux dégâts lors de l’offensive des Ardennes à la fin de la guerre. Les autres brasseries avaient été préservées et purent activer leurs salles de brassage après livraison de matières premières et remplir de nouveau leurs caves de garde. C’est ainsi qu’une production annuelle de 270 035 hl pu être atteinte dès 1947, et augmentée à 355 927 hl en l’espace de trois ans. Avec un tel résultat, les producteurs de bière étaient, en 1950, encore en retard de 110 000 hl par rapport à 1938, dernière année d’avant-guerre. Cette valeur approchait celle de la production annuelle de 1923/1924. Les rapports de grandeur entre brasseries étaient restés inchangés par rapport à 1938. Sur base de la consommation de malt, la Brasserie de Diekirch occupait de loin, avant comme après la guerre, la première place au Grand-Duché, suivie dans l’ordre par les brasseries Henri Funck, Mousel et Bofferding. Les brasseries possédant les plus faibles capacités de production étaient toutes regroupées au sud du Luxembourg, là où vivaient la plupart des consommateurs de bière, les travailleurs de l’industrie du fer et de l’acier.

Dans les années soixante, la production des onze brasseries était en perpétuelle augmentation. Avec une production de 471 013 hl dépassant celle de 1938, l’année 1963 marqua la fin de  la phase de reconstruction du secteur brassicole luxembourgeois. Même la qualité de la bière luxembourgeoise, brassée principalement selon la loi sur la pureté, était revenue après 1945, en un temps record, au niveau d’avant-guerre. Elle resta donc un produit apprécié tant au Luxembourg qu’à l’étranger. Le niveau des exportations de 1938 fut de nouveau atteint au début des années soixante. Les neuf dixièmes de la bière exportée étaient destinés à la Belgique, restant ainsi sur le territoire de l’UEBL. L’imposition de la bière resta en vigueur dans l’union avec la Belgique. Le niveau d’imposition des brasseries fut fonction - jusqu’en 1969 - de leur consommation de malt. L’importation de bière, surtout d’Allemagne, était insignifiante pour le Luxembourg: avec env. 10 000 hl (1963), elle représentait trois pour-cent de la consommation de bière au Grand-Duché, situation par conséquent peu préoccupante pour l’industrie brassicole locale.

Afin de moderniser leurs installations, les brasseurs luxembourgeois investirent des millions dans les années cinquante et au début des années soixante. Il faut souligner que, en raison des bénéfices élevés réalisés par la plupart des brasseries durant ces années, 51 % des investissements purent être financés avec des capitaux propres, les capitaux étrangers n’étant sollicités que pour le reste. La situation financière des brasseries permettait aux directions d’exploitations d’embaucher à grande échelle : 579 ouvriers et 148 employés en 1963. Le personnel - 160 personnes, dont dix femmes - était pour l’essentiel affecté à la Brasserie de Diekirch. Le processus de concentration de l’industrie brassicole luxembourgeoise commença cependant au cours des années qui suivirent.

Après la libération de Diekirch par les Américains, les premiers habitants, qui avaient été évacués en décembre, purent réintégrer la ville trois jours plus tard en vue de sa reconstruction. Le personnel de la Brasserie de Diekirch, mis en sécurité dans le sud du pays, faisait également partie - sur autorisation des autorités américaines - des premiers rapatriés. En février 1945, débutèrent les travaux de déblaiement et de réfection de la brasserie, sous le contrôle du directeur Charles Leclère. Les dommages étant minimes, ces travaux furent rapidement achevés, grâce aussi à l’intervention des anciens employés. Par chance, les conduites souterraines amenant du Herrenberg l’eau des sources de Belleflesschen destinée au brassage n’avaient pas été endommagées. La première bière fut brassée au bout de quelques semaines seulement, si bien que la production de bière de la Brasserie de Diekirch ne fut interrompue que quelques mois, et non pas une année entière. La production de la dernière année de guerre fut dépassée de peu durant l’exercice 1945/46, malgré les difficultés persistantes des brasseries pour s’approvisionner en matières premières, car la première production dépassa le seuil des 50 000 hl. D’après les données statistiques, la société anonyme de Diekirch avait ainsi une longueur d’avance sur ses onze concurrentes du Grand-Duché. L’année suivante, la production de Diekirch augmenta de quelque 20 000 hl. Les chiffres de vente montrent que ce surplus de bière fut entièrement exporté en Belgique qui, comme avant la Seconde Guerre mondiale déjà, était le seul et unique client de la Brasserie S.A. à l’étranger. En 1947/48, la production annuelle de Diekirch s’élevait à 72 129 hl, soit un tiers de la production globale luxembourgeoise. La majeure partie de cette bière fut vendue au Luxembourg, et 25 068 hl exportés en Belgique. La part à l’exportation de la Brasserie de Diekirch représentait ainsi cinquante pour-cent de l’ensemble des exportations de bière luxembourgeoises. Etant donné que la part de bière vendue en bouteilles augmentait d’année en année et que ce type de conditionnement convenait particulièrement à l’exportation, le Conseil d’administration décida, en 1952, de réaliser le premier gros investissement d’après 1945 pour l’amélioration de la mise en bouteilles de la bière. En aucun cas la bière de Diekirch ne devait être mise en bouteilles ailleurs. L’année suivante, une installation de mise en bouteilles fut mise en service, qui, en une heure, nettoyait, rinçait, remplissait de bière, fermait et étiquetait automatiquement 18 000 bouteilles. Comme toujours, l’hygiène et la précision régissaient les activités d’exploitation de la Brasserie de Diekirch. On pouvait lire sur les étiquettes des bouteilles: “Cette bière, garantie pure de tout antiseptique est mise en bouteille à la brasserie” .
Alors qu’une approche globale du secteur brassicole révèle d’importantes fluctuations de la production au cours des années d’après-guerre, la production annuelle de la Brasserie de Diekirch augmenta de manière continue, à deux petites exceptions près en 1947/48 et 1953/54. Les prix de vente furent même augmentés à cette époque. Déjà en 1956/57, les ventes globales de bière de Diekirch frôlaient à nouveau les 100 000 hl. Les exportations avaient grimpé à 27 733 hl et représentaient toujours environ la moitié des exportations de bière du Luxembourg. Les sous-verre conçus à Diekirch portaient le slogan “Diekirch, on ne boit que celle-là...”

Dans les années cinquante, tant le transport régional que supra-régional était effectué par des camions appartenant aux brasseries, qui pouvaient transporter jusqu’à huit tonnes maximum. Même les clients belges étaient livrés en un jour. L’on avait tenté plusieurs fois d’effectuer au moins le transport vers les autres pays européens par voie ferrée. Cette transformation n’aurait occasionné que peu de frais pour la Brasserie située à côté de la gare de Diekirch, mais le transport de la bière à partir des gares d’arrivée posait des problèmes, en raison desquels l’on ne pouvait garantir aux clients une livraison sans encombre. Les tentatives furent abandonnées.

La Brasserie reprit dans les années d’après-guerre la production de jus de pomme débutée au cours de la Seconde Guerre mondiale dans ses anciens bâtiments à Bamertal. En 1954, 37 076 litres de jus de fruits furent produits dans les bâtiments remis à neuf et équipés des installations les plus modernes. Trois ans plus tard, cette production secondaire de la société anonyme de Diekirch avait plus que doublé, avec 75 569 litres de jus de pomme portant la marque “JUPUR”.

Avec le premier bilan à nouveau dressé en francs, à savoir le bilan d’ouverture, du 18 octobre 1944, le capital social de la „Société anonyme de la Brasserie de Diekirch, avec siège social à Diekirch“, l’ancienne désignation de la Brasserie S.A., officialisée depuis la fin de la période d’occupation allemande, avait été ramené de 6,25 millions de reichsmark (25 millions de francs) à vingt millions de francs. Le capital social était, comme auparavant, représenté par 2 500 parts sociales. Les statuts, ainsi que le capital social, furent modifiés pour la première fois le 11 juillet 1945. A la demande de la direction de la Brasserie, c’est-à-dire le président du Conseil d’administration et le directeur, les nouveaux statuts, qui correspondaient pour l’essentiel à ceux des années d’avant-guerre, furent portés au registre du commerce auprès du tribunal de Diekirch. Les membres du Conseil d’administration furent désignés : Charles Bech (président), banquier de Diekirch, Max Lambert (vice-président), directeur général de la Banque Internationale à Luxembourg, Léon Brasseur, ingénieur à Luxembourg, Georges Fribourg, avocat à Anvers, Jules Küborn, ingénieur à Schrassig, et Aloyse Meyer, directeur général de l’Arbed, tous membres de l’administration de la Brasserie de Diekirch avant la guerre déjà. Au nouveau Conseil de contrôle siégeaient René Neumann et Jules Hamilius, respectivement directeur d’assurance et notaire à Luxembourg. Les pouvoirs du directeur Charles Leclère et de son représentant François Borck furent maintenus par le Conseil d’administration. Suite à l’intensification de la production de jus de pomme, les objectifs commerciaux furent élargis : à la production de malt et de bière s’ajouta celle de toutes les autres boissons.

Une première étape vers la modernisation complète de la Brasserie avait été franchie avec la mise en service de l’installation de mise en bouteilles entièrement automatique en 1953. En 1955, on maintint le cap de cette modernisation en mémoire des succès de l’entreprise après la reconstruction des années vingt. Les locaux d’exploitation de la Brasserie sur le site disponible de l’usine furent agrandis et, dans le même temps, largement équipés par de nouvelles installations. Les différents bâtiments de la Brasserie furent reliés entre eux par un réseau ferroviaire. Le parc de véhicules fut agrandi. Afin de pouvoir offrir aux visiteurs de la brasserie quelque chose de particulier à la fin de leur visite, une salle de dégustation fut aménagée dans la partie la plus ancienne du bâtiment, où les invités pouvaient se restaurer et où étaient organisées les fêtes internes. A la première fête organisée dans ce local en 1957 était présent le secrétaire d’état au ministère de l’économie luxembourgeois, Henry Cravatte, de Diekirch. Il souligna dans son discours les réalisations particulières de la Brasserie de Diekirch, la meilleure brasserie du pays. La presse luxembourgeoise s’exprima en des termes identiques: “Eise Be’er ass gudd, mé kén as besser we’den Dickricher!” Pour clôturer la phase d’extension, on décida en 1957 la construction d’une malterie performante et automatisée. La technique de la touraille - en particulier - était à remplacer; il fallait ici conjuguer amélioration des conditions de travail et rationalisation. Une centrale électrique au mazout (en lieu et place du charbon d’autrefois), appartenant à l’entreprise, fut finalement construite en 1962 . Quatre moteurs diesel de 1 300 C.V. y fonctionnaient, produisant quotidiennement de 10 000 à 11 000 kilowatts/heure. Une telle production d’électricité était nécessaire en raison du fonctionnement  ininterrompu des installations frigorifiques dans les caves de  fermentation et de garde ainsi qu’en raison de la salle de brassage. La connexion au réseau électrique de la ville fut maintenue pour les cas de panne. Le nombre de personnes employées passa à 164 (141 ouvriers et 23 employés) jusqu’en 1959.

Pour encourager les ventes, le contact entre le service des ventes et le réseau de vente externe fut amélioré par des rencontres régulières avec les dépositaires de Diekirch. En outre, la Brasserie organisait dans ses locaux des cours de tirage de la bière pour les membres de l’Association luxembourgeoise des hôtels et des restaurants, Horesca (Hôtel-Restaurant-Café). La possibilité leur était offerte d’obtenir le diplôme du mérite pour la qualité remarquable du tirage de la bière et de la gestion d’un restaurant. Cette offre suscita une forte demande au Luxembourg.

La grande phase de reconstruction de la Brasserie de Diekirch S.A. fut suivie, cette fois encore, d’une phase de succès. En 1957/58, Diekirch vendit, pour la première fois après la Seconde Guerre mondiale, à nouveau plus de 100 000 hl de bière et ainsi, comme auparavant, un quart du “jus d’orge” produit au Luxembourg. Des 60 537 hl de bière exportés au total par le Grand-Duché de Luxembourg, 30 000 hl environ provenaient de la Brasserie de Diekirch, qui maintenait ainsi sa part à 50%. La vente de la bière s’effectuait en tout premier lieu par l’intermédiaire de dépositaires de bière liés à la Brasserie par contrat; ils revendaient à la clientèle la bière livrée directement de Diekirch. L’entreprise de Diekirch développa de plus en plus ses activités de distribution. Les plus gros consommateurs de bière vivaient dans le sud du Grand-Duché, très peuplé.

Alors que la phase de reconstruction du secteur brassicole luxembourgeois avait pris fin en 1963, cette phase s’était achevée à la Brasserie de Diekirch S.A. dès 1959. Diekirch vendait avant la guerre 110 644 hl; en 1958/59, ce chiffre était de 110 834 hl. La part à l’exportation demeura à env. 30 000 hl , c’est-à-dire toujours à peine un tiers des ventes. A la fin des années 50, après avoir été exportée exclusivement en Belgique et au Congo Belge pendant près de 40 ans, la bière de Diekirch fut à nouveau vendue  en France (Paris et Metz) et même en Allemagne.
1963 fut une année importante, non seulement pour les brasseries en général, mais aussi pour la Brasserie de Diekirch, qui établissait un nouveau record - provisoire - de production et de vente avec 126469 hl vendus durant l’exercice 1962/63. L’ancien record de 1930/31 fut dépassé de quelque 3000 hl, alors que les brasseries luxembourgeoises dans leur ensemble ne revinrent au niveau de cette année d’avant-guerre que huit ans plus tard. Diekirch conserva haut la main sa position de numéro un des dix brasseries actives au Grand-Duché.

Durant ces années, la Brasserie de Diekirch S.A. proposa quatre sortes de bière à ses clients: la “Pils”, avec un degré d’alcool de 4,6 %, la “Réserve” avec 5,3 %, la “Grande Réserve” avec 5,9 % et la „Double Diekirch“, 6,3 %. La part de la Pils dans les ventes globales était d’environ 75 %, celle de la Réserve de 22 %, celle de la Grande Réserve de 2 % et celle de la Double Diekirch, une bière brune spéciale vendue uniquement en bouteilles et conçue pour les consommateurs exigeants, de moins d’un pour-cent. Deux nouvelles distinctions furent décernées à cette époque à la bière de Diekirch: un prix lors de l’exposition universelle de Bruxelles en 1958 et une médaille d’or à l’exposition spécialisée sur la gastronomie à Sarrebruck. La seconde distinction fut particulièrement appréciée par la direction de l’entreprise:  elle prouvait en effet que la bière de Diekirch avait bien sa place à côté de la bière allemande de qualité supérieure. Le chiffre d’affaires réalisé par la Brasserie de Diekirch tripla au cours de la phase de reconstruction.

Finalement, forte d’un succès qui s’était confirmé au fil des ans, la Brasserie de Diekirch élargit son domaine d’activités, sur proposition de Jean d’Huart, directeur général de la Banque Internationale à Luxembourg et nouveau président du Conseil d’administration de la Brasserie de Diekirch depuis 1958, et de Charles Leclère, toujours directeur de l’entreprise. A la production et á la vente de boissons alcoolisées et non alcoolisées, devaient s’ajouter:

- la représentation ou la reprise d’entreprises du même type,
-la vente d’installations frigorifiques,
-le commerce et le transport tant de matières premières que de produits issus de l’industrie des boissons,
-l’exploitation d’hôtels, restaurants, cafés et autres points de vente de boissons et, en outre,
-toutes formes d’affaires mobilières, immobilières, commerciales et financières, liées directement ou indirectement aux affaires de cette époque.


En 1964, le Luxembourg comptait encore dix brasseries, et plus que cinq en 1982. La production de bière luxembourgeoise atteignit malgré tout de nouveaux résultats records au cours de ces dix-huit années. Ce processus de concentration dans le secteur brassicole luxembourgeois, qui avait déjà commencé dans les années cinquante, peut être considéré, après la première vague de la fin du 19e siècle, comme le second mouvement de concentration des brasseries. Les dix brasseries parvinrent en 1964 à réaliser une production de plus de 500 000 hl, chiffre porté à 583 847 hl en 1971 par les neuf brasseries restantes et dépassant l’ancien record de 1930 de quelque 20 000 hl. Le processus de concentration n’était cependant pas encore terminé.

La réduction du nombre d’exploitations et l’accroissement de la production se poursuivirent de façon concomitante durant 10 années encore. Il s’avéra que seules 2 brasseries participaient au mouvement de concentration - exclusivement horizontale dans un premier temps - en cours dans l’industrie brassicole du Grand-Duché de Luxembourg: les Brasseries Réunies de Luxembourg Mousel & Clausen S.A. et la Brasserie Nationale, créée durant la seconde moitié des années soixante-dix. La Brasserie de Diekirch s’agrandit dans les années soixante-dix grâce à des prises de participations à l’étranger , lesquelles ne se limitèrent pas au secteur brassicole.

Seules des exploitations financièrement solides et à forte production pouvaient encore se mesurer à la concurrence toujours plus rude entre les brasseries luxembourgeoises. D’autres fusions eurent lieu. Dès 1975, les six brasseries encore en activité ressentirent les effets de la crise de l’acier et des étés frais. La production fut réduite. Etant donné - toutefois - que la demande intérieure de bière par habitant et par an n’avait reculé que d’environ dix litres, passant de 120 à 110 litres, l’industrie brassicole surmonta mieux la crise de la seconde moitié des années soixante-dix que d’autres branches industrielles du pays. Bien qu’il ne restât plus que 5 brasseries luxembourgeoises en 1982, la production annuelle, due à l’augmentation de la productivité, s’éleva à 751 348 hl. Cette année - là, 466 personnes travaillaient encore dans le secteur brassicole. Parallèlement à la vente de leurs propres produits, les plus grandes brasseries luxembourgeoises s’assurèrent, dans le climat incertain des années soixante-dix , une seconde source de revenu par le biais de prises de participations dans des entreprises de vente, et en partie également de fabrication, de boissons non alcoolisées (soft drinks, eau minérale, coca-cola, etc.). Grâce à ces filiales, elles élargirent leur propre réseau de distributeurs et proposèrent sur le marché des boissons dont la demande s’accroissait considérablement. Cette volonté de diversification des brasseries ramena de plus en plus le processus de concentration du secteur brassicole luxembourgeois - en cours dans les années soixante-dix et au début des années quatrevingt - à deux plans : premièrement, au plan horizontal, par la reprise d’autres brasseries à l’instar des années cinquante et soixante ; deuxièmement, au plan vertical, par l’entrée dans des sociétés de distribution et l’intégration consécutive de niveaux de production en aval de la branche des boissons. On peut parler d’un troisième niveau de concentration car les sociétés reprises étaient en partie des brasseries et, en partie, des unités de production d’autres boissons, constituant de la sorte un conglomérat d’entreprises de types différents, que Wagner appelle la “concentration de conglomérat”. La Brasserie de Diekirch en est, selon lui, le meilleur exemple .

Le premier rang des consommateurs de bière luxembourgeoise, pour les années 1964 à 1982, était toujours occupé par les Luxembourgeois. En outre, les ventes vers l’étranger augmentèrent. Parallèlement à la Belgique, principal pays d’exportation de la bière luxembourgeoise, la France s’était particulièrement distinguée. A la troisième place se trouvait la république fédérale d’Allemagne. Pour la vente au Luxembourg, les prix de la bière luxembourgeoise étaient fixés par l’Etat, tandis que les prix à l’étranger étaient déterminés par la concurrence. Dans les années soixante-dix, la bière vendue à l’étranger était jusqu’à 47 % meilleur marché qu’au Luxembourg. En conséquence, les brasseries exportatrices, et en particulier la Brasserie de Diekirch, qui assurait 75 % des exportations de bière à cette époque, prenaient des risques particulièrement élevés. L’importation de bière étrangère au Luxembourg représentait entre trois et dix pour-cent de la consommation luxembourgeoise de bière, dont deux tiers provenaient d’Allemagne et un tiers de Belgique et de France.

Au 1er janvier 1969, cinquante ans après l’Allemagne, le Grand-Duché de Luxembourg transforma l’impôt sur les brasseries en un impôt sur la bière. „Le droit d’accise sur la bière fabriquée dans le pays est calculé sur le nombre d’hectolitres-degré de moût du brassin“ . A la différence de l’imposition allemande, ce n’était pas la bière finie mais plutôt un produit intermédiaire, le moût de bière, qui était soumis à l’impôt. Si de la bière était exportée du Luxembourg, les impôts étaient remboursés, comme auparavant; si, en revanche, de la bière était importée au Luxembourg, le produit final était soumis - s’agissant ici de bière finie - à l’impôt en fonction de sa densité.

En 1974, en application de directives CE applicables au secteur brassicole, le Luxembourg et la Belgique classèrent les produits brassés par eux en fonction de la teneur en moût de base et du degré d’alcool en quatre catégories. La bière de la première catégorie, dont faisait partie la Pils, avec une teneur en moût de base de 11-13,5 degrés Plato et un degré d’alcool de 4,4-4,8 %, représentait quatre-vingt-dix pour-cent de la bière fabriquée au Luxembourg. A la fin des années soixante, les brasseurs luxembourgeois n’étaient toujours pas obligés de brasser leur bière conformément à la loi sur la pureté.

Après que la production de la Brasserie de Diekirch eut atteint un nouveau point culminant en 1963, pour représenter ainsi plus d’un quart de la production annuelle luxembourgeoise, elle réussit à brasser plus de 200 000 hl jusqu’en 1971, soit 36 % de la bière luxembourgeoise. Tandis que la production globale avait augmenté de quelque 70 000 hl de 1964 à 1971, la production de Diekirch avait connu dans le même temps une croissance de près de 62 000 hl. Ces deux valeurs démontrent clairement que Diekirch a très largement contribué à l’augmentation de la production annuelle de bière.

Alors que, jusqu’en 1965/66, la majeure partie de la bière de Diekirch était écoulée au Luxembourg, la situation s’inversa dès 1966/67. A compter de cette année-là, la quantité de bière vendue à l’étranger fut toujours supérieure à celle vendue au Luxembourg. La part de la bière de Diekirch consommée au Grand-Duché oscilla toujours entre 80 000 et 90 000 hl dans les années soixante, c’est-à-dire qu’un litre de bière sur quatre consommé au Luxembourg venait de Diekirch. Le nombre d’hectolitres de bière exportée à l’étranger fit plus que doubler, passant de quelque 60 000 hl en 1964 à presque 130 000 hl en 1971, soit deux tiers de la production de Diekirch. L’on peut en conclure que, à l’instar de l’ensemble du secteur brassicole luxembourgeois, la production y fut augmentée essentiellement pour la clientèle étrangère, le marché intérieur étant saturé depuis le milieu des années soixante-dix. La Brasserie de Diekirch, qui, avec 70% des exportations de bière en 1971, était restée la plus importante brasserie exportatrice du Luxembourg, s’était donc bien adaptée à la situation du marché. Elle pouvait se développer mais restait, comparativement aux autres brasseries luxembourgeoises, particulièrement dépendante du marché étranger, et courait ainsi de gros risques.

L’effectif de la Brasserie de Diekirch augmenta à 223 personnes en 1971. La Brasserie S.A. était ainsi un des employeurs les plus importants de la région. En tant que plus grande entreprise productrice et exportatrice de bière du Grand-Duché, la Brasserie de Diekirch reçut la visite du Grand-Duc Jean en février 1966, visite considérée comme une distinction particulière car le Grand-Duc, accompagné du président du Conseil d’administration Jean d’Huart, visita les installations d’exploitation et dégusta ensuite la bière de Diekirch dans la salle de dégustation de la Brasserie. Les bonnes perspectives qui s’ouvraient à la Brasserie pour les années soixante-dix incitèrent les actionnaires à voter à l’unanimité, lors d’une assemblée générale extraordinaire le 15 décembre 1967, la prolongation pour une durée de trente ans de l’existence de la société.

En 1970, la Brasserie de Diekirch disposait, grâce aux succès des dernières années, de moyens financiers suffisants pour investir 26 millions de francs dans la modernisation de ses installations. Etant donné que la part de bière en bouteilles avait nettement augmenté - ce conditionnement représentait en effet 59 % des exportations, secteur en développement - et que l’on s’attendait à une confirmation de cette tendance, on mit en place une installation de mise en bouteilles ultra-moderne. L’ensemble de la bière fabriquée au Luxembourg fut vendue, dans la seconde moitié des années soixante-dix, pour près de quarante pour-cent en tonneaux et soixante pour-cent en bouteilles. Sur les trois petites installations de mise en bouteilles, d’une capacité totale de 36 000 bouteilles à l’heure, seule une installation pour 24000 bouteilles fut conservée et complétée par une nouvelle, provenant d’une usine de machines pour brasseries de Dortmund, dont le rendement était de 46000 bouteilles à l’heure. Des sociétés luxembourgeoises se chargèrent de l’installation et des modifications architectoniques, comme par exemple la construction d’un nouveau dépôt pour bouteilles vides. L’installation de mise en bouteilles (bouteillerie) fut mise en service à titre d’essai le 14 avril 1970, et inaugurée le 14 novembre suivant.

La brasserie fêta son 100e anniversaire en 1971. A cette occasion, la direction de l’entreprise lança une opération auprès du public, l’informant de l’évolution, de la croissance et du niveau de la Brasserie, en vue de gagner ainsi de nouveaux clients. Tout Diekirch faisait la fête, il y eut une „journée portes ouvertes“, et la bière - gratuite - coulait à flots. C’est en cette année de succès et d’anniversaire que le directeur de la Brasserie S.A., Charles Leclère, fit ses adieux après être resté de longues années en fonction. Fernand Kass, déjà membre de l’administration de l’entreprise, fut désigné comme nouveau directeur.

Au cours de la première moitié des années soixante-dix, sous la direction de Fernand Kass, qui, depuis son entrée en fonction en 1971, poursuivait le but d’exploiter au maximum les capacités de production de la Brasserie de Diekirch, la Brasserie S.A. connut ses plus gros succès en matière de production. Jusqu’en 1975, l’entreprise augmenta la production de bière à plus de 400 000 hl. Avec un tel résultat, représentant cinquante pour-cent de la production de bière du Grand-Duché, la Brasserie de Diekirch réalisa en 1975, à l’instar des autres brasseries du pays, son record de production.

Dans la seconde moitié des années soixante-dix, la Brasserie dut - ainsi que ses concurrents nationaux - ralentir la production de 100 000 hl en raison d’une baisse de la demande en bière. De 1975 à 1978, la production annuelle fut diminuée de 25 %, et de 15 % pour l’ensemble du secteur brassicole luxembourgeois. Avec une différence de production de 150 000 à 200 000 hl par rapport à ses concurrents, la Brasserie S.A. demeura le plus grand producteur de bière du Grand-Duché. Tandis que la part de Diekirch dans la production globale passait de 50 à 45 %, la part à l’exportation de bière luxembourgeoise fut maintenue jusqu’en 1980 à plus de soixante-dix pour-cent. La Brasserie S.A. du nord avait ainsi assuré sa position de plus grande brasserie exportatrice luxembourgeoise. Rien d’étonnant dès lors à ce que les autres brasseries du Luxembourg, alors que Diekirch se consacrait essentiellement à l’exportation, aient concentré leurs efforts avant tout sur le marché intérieur et tenté d’y assurer leur position, entre autres par des fusions. La Brasserie de Diekirch, en dépit de son statut de plus grand producteur de bière du Grand-Duché, fut dépassée sur le marché national au vu de sa participation à la production (18 % en 1981).

Un  risque auquel s’exposait la Brasserie de Diekirch en exportant 75 % de sa bière était la possibilité de déterminer elle-même les prix, tandis que les prix au Luxembourg était fixés par l’Etat. De bas prix pouvaient certes améliorer les ventes mais, avec le temps, également altérer le chiffre d’affaires et affaiblir à long terme la force financière de l’entreprise. En outre, elle dépensait et investissait des sommes impressionnantes. Les actifs immobilisés augmentèrent de 250 %, passant ainsi de 234 (1971) à 596 millions de francs (1980). Les investissements suivants furent réalisés: réservoirs de stockage, caves de garde, une bouteillerie supplémentaire d’une capacité de 40000 bouteilles/heure, équipements de restaurants ainsi que dépositaires et concessions. La Brasserie devint un groupe aux activités débordant largement la seule fabrication de bière. Entre 1973 et 1979, elle détenait des participations chez les dépositaires belges suivants: Marcel Clement S.A., Genval (participation à 100 %), Emile Vanderbeck S.A., Charleroi (100 %), Lobet Frères S.A., Melreux (100 %), Delsing S.A., Liège (25 %), ainsi que dans les entreprises suivantes: l’entreprise de production et de vente de Mirinda, Pepsi Cola et Seven Up sous la dénomination Sodrico S.A. Helfenbrück/Belgique (100 %), les installations de production des spiritueux Dillinger, Euro-Boissons S.A. Diekirch/Luxembourg (100 %), la brasserie Oscar Sacré S.A. Namur/Belgique (100 %), et fonda les cinq succursales de distribution suivantes: Codilux S.A. Bartringen/Belgique (50 %), Pleger S.A. Ettelbrück/Luxembourg (100 %), C.A.B. S.A. Arlon/Belgique (100 %), Diekirch S.A. St. Vith/Belgique (100 %) et Spad S.A. Dudelange/Luxembourg (33 % ).

L’évolution de la Brasserie de Diekirch de 1973 à 1979 fut une phase de concentration d’entreprises horizontale et de conglomérat. Diekirch ne cherchait pas à reprendre de brasseries, car elle disposait elle-même de grandes et modernes installations, dans lesquelles elle fabriquait une bière d’excellente qualité. Elle était beaucoup plus intéressée par une malterie, des dépositaires de bière et des restaurants jouissant de leur propre autonomie. Elle faisait ainsi partie des brasseries du Luxembourg initiatrices d’une phase de concentration verticale dans le secteur brassicole luxembourgeois. Etant donné que la Brasserie de Diekirch S.A. était devenue une brasserie de plus en plus tournée vers l’exportation - principalement vers le marché belge - la direction de Diekirch essayait d’entrer dans  des sociétés de distribution essentiellement étrangères. La fondation d’Euro-Boissons et la participation à la société Sodrico furent pour elle une étape supplémentaire dans son travail de diversification. Elle s’initia au commerce des boissons alternatives, et  un conglomérat d’entreprises vit le jour. En outre, elle disposa de sa propre malterie à Diekirch-Bamertal jusqu’en 1980. Toutes ces entreprises étaient spécialisées dans la production ou la vente de boissons au Luxembourg  et surtout en Belgique, et  leurs réseaux de distributions pouvaient être repris par la Brasserie de Diekirch. Seules les bonnes conditions de vente, à savoir les parts de marché et les canaux de distribution  existants, intéressaient Diekirch. Pour le reste, elle avait pris une participation dans des entreprises qui complétaient sa gamme de produits par des boissons non-alcoolisées et des spiritueux.

Au début des années soixante-dix, la Brasserie de Diekirch S.A. se trouvait dans une situation financière favorable. Le rapport d’exercice de 1979 montra que l’entreprise s’était fortement endettée. La réduction massive de 112 personnes en 1978 (246 personnes étaient employées en 1975) pouvait être considérée comme un premier signe évident de la soudaine faiblesse financière de l’entreprise. Depuis 1971, la direction poursuivait sa politique d’expansion, laquelle  -malgré les efforts du Conseil d’administration -  avait fini  par échapper à son contrôle.  Aucune voix ne s’était élevée contre ce processus, car tant les investissements infrastructurels  que la diversification et l’extension  d’un réseau de vente au-delà des frontières étaient considérés comme des objectifs essentiels. Les seules mesures d’épargne avaient été les licenciements de personnel; au reste, le directeur Kass avait réalisé d’importants investissements dans des installations qui, au lieu de réduire la capacité de production, l’augmentaient. Ainsi, la Brasserie de Diekirch  était-elle - de toutes les brasseries luxembourgeoises - celle qui exploitait le moins ses capacités (500 000 hl).

Après l’annonce des premières pertes, Charles Leclère, qui exerça durant des années les fonctions de directeur et fut, désigné temporairement au poste de président du Conseil d’administration en 1980, annonça, lors de la première assemblée générale ordinaire du 15 avril 1981, la mise en place de contrôles approfondis  et d’un plan d’assainissement et de développement s’étalant sur plusieurs années, dans le cadre des mesures de restructuration et de rationalisation. François Mergen fut élu au  poste de  nouveau directeur de la brasserie afin de remplacer Monsieur Kass, lequel s’était volontairement retiré. Furent désignés à ses côtés, pour les affaires courantes, Carlo Wagner en tant que second directeur, Metty Dunkel en tant que principal fondé de pouvoir, ainsi que René Blum et Nicolas Leyers en tant que fondés de pouvoir. Les objectifs commerciaux des années à venir avaient été définis par le Conseil d’administration comme suit: consolidation de la production,  suppression des marchés déficitaires, réduction des frais d’investissement, réorganisation complète du système de distribution et  réduction de main-d’oeuvre à tous les niveaux.


Depuis 1982, le Luxembourg comptait encore cinq brasseries en activité. La Brasserie de Diekirch restait comme auparavant en tête des brasseries exportatrices, les Brasseries Réunies étaient en tête des brasseries produisant pour le marché national, suivies de la Brasserie Nationale. Le développement des trois entreprises régnant sur le marché était le fruit d’un changement de structure qui s’est opéré dans le secteur brassicole luxembourgeois au cours de la seconde moitié du 20e siècle. Le contrôle des prix  par l’Etat et l’intercalage de points de vente empêchaient tout oligopole. Même si la situation économique s’était améliorée au point que chaque débit de boissons pouvait compter sur 143 clients potentiels  - ils n’étaient que 106 en 1948 -, il ne fallait pas oublier que beaucoup de débit de boissons n’étaient plus rentables en raison de la consommation croissante de bière chez soi ou dans les hôtels et restaurants. Les cadres des brasseries se virent dès lors confrontés au problème suivant :  dans le même temps où il leur était de plus en  plus difficile de se retirer des contrats conclus avec les acheteurs de leurs produits, ils durent reconnaître la nécessité de l’extension des réseaux de distribution locaux et à l’étranger. Dans cette situation, une collaboration étroite entre les cinq brasseries était inévitable. Il fallait trouver ensemble des solutions pour empêcher la pénétration de brasseries étrangères sur le marché national, créer en outre de nouveaux débouchés et améliorer les possibilités de distribution indépendantes de débits de boissons.

Les exportations vers la France et la république fédérale d’Allemagne connurent un fort recul, tandis que les ventes en Belgique se maintenaient. La part des importations se situait sous les dix pour-cent. Après deux années de faible production pour les brasseries luxembourgeoises, 1985 apporta un nouvel élan. C’était également l’année où la situation recommença à se stabiliser à Diekirch. Avec une production globale de 738 302 hl de bière, les brasseries du Grand-Duché atteignirent de nouveau, du point de vue actuel, un point culminant. Près de soixante pour-cent de cette production furent consommés au Luxembourg, les quarante pour-cent restants à l’étranger. Un tel chiffre d’affaires ne fut plus  réalisé qu’en 1986, pour ensuite baisser continuellement.

En 1993, la production du secteur brassicole luxembourgeois fut égale à celle de 1971. Tant les petites que les moyennes brasseries avaient limité leur production. „L’exercice 1993 n’a pas été favorable pour l’industrie brassicole luxembourgeoise.“ . Les exportations reculèrent en conséquence. Le principal importateur de bière luxembourgeoise resta la Belgique, avec 68 %, suivie de la France, 25 %. Des exportations furent effectuées dans une moindre mesure  vers d’autres pays encore dont l’Allemagne. Malgré l’augmentation de la population et de la consommation de bière, il fallut, dès 1993, se rendre à l’évidence : l’augmentation à 16% de la part des bières d’importation dans la consommation  intérieure était bien la principale cause du recul de la production. Même les étés très chauds ne s’accompagnérant  pas de grands succès à la vente pour les brasseries mais contribuèrent plutôt à faire augmenter la consommation de boissons non alcoolisées en raison du changement de comportement des gens dans ce domaine - la consommation par habitant baissa de 115/120 à 103 litres (1993).

Les brasseries luxembourgeoises avaient perçu l’évolution du marché. Afin d’être présentes en permanence sur le marché intérieur avec près de 400 000 hl, d’augmenter la vente de leurs produits par le biais des exportations et de rester compétitives, elles investirent depuis 1987 de manière ciblée dans les domaines de la production, de la distribution, du marketing et de la publicité. De plus, elles élargirent leurs offres en se chargeant de la distribution d’autres boissons ou en proposant des bières légères sur le marché.

L’assainissement de la Brasserie de Diekirch eut lieu dans cette phase de restructuration de l’industrie brassicole luxembourgeoise. Le capital social fut  ramené à cinquante millions de francs, toujours réparti en 10 000 actions, et augmenté de 150 millions de francs par l’émission de 30 000 nouvelles parts sociales, pour atteindre ainsi 200 millions de francs. Tous les administrateurs et commissaires en place durant les années 1977-1980 se retirèrent, sauf René Gredt, ancien commissaire de la Brasserie de 1970 à 1980, au service du Grand-Duc, qui avait été élu en 1980 au Conseil d’administration et confirmé dans ses fonctions. Au poste de président du Conseil d’administration fut désigné Ady Colas, directeur de la BIL, auquel incomba la tâche de l’assainissement. Pour l’exercice 1982/83, le Conseil d’administration était composé de Ady Colas (président), Charles Leclère, René Gredt, Lucien Dury et Jean Seywert. René Pitz et Pierre Feltes conservèrent leur poste de commissaires. L’assainissement s’avéra difficile et se traduisit, pour de nombreux membres du personnel, par la perte de leur emploi. La direction de l’entreprise essaya par tous les moyens de maintenir l’exploitation à flot. Il s’agissait en l’occurrence de se dresser contre des voix prônant une reprise des brasseries luxembourgeoises par des sociétés étrangères. La production de bière globale du Luxembourg (600 000 hl par an) était largement inférieure à celle d’une brasserie moderne. Les mesures d’assainissement suivantes - en particulier - furent prises : réduction considérable de la production, qui fut limitée à la bière; diminution des effectifs de 119 unités; suspension des investissements et remodelage du  réseau de distribution. Ces mesures furent appliquées jusqu’en 1984. La Brasserie de Diekirch ne produisait finalement plus que 27 % de la bière luxembourgeoise, étant ainsi dépassée par ses concurrents nationaux. Elle resta cependant la plus grande brasserie exportatrice du Luxembourg.

La nouvelle politique de l'entreprise produisit des effets dès 1982/1983, et surtout à partir de 1984: les résultats d'exploitation étaient à nouveau positifs. Sur la lancée de cette restructuration, l'éventail des variétés de bière fut également recomposé. En avril 1985, après une année de tests, M. Horst Hermann Müller, maître brasseur à Diekirch, présenta au public un nouveau produit. Une bière spéciale, se démarquant des autres types de bières par sa teneur en alcool (6,9 %), un moût de base de 15,5 % minimum et sa couleur sombre, fut ainsi lancée sur le marché sous l'appellation déjà connue de "Grande Réserve", à côté de la Pils. Bue froide, elle est rafraîchissante et savoureuse.

Le choix et la composition des variétés de bières furent, pour la direction de la Brasserie de Diekirch, toujours conditionnés par une exigence: l'adéquation du produit à l'exportation. La Belgique restait le principal importateur de bière luxembourgeoise, mais la France, l'Allemagne et l'Angleterre en importaient également. Les relations avec leur partenaire traditionnel qu'était la Belgique -où les brasseurs de Diekirch savaient que leur bière jouissait d'une grande popularité- furent consolidées en 1985 par la signature d'un contrat entre la Brasserie et la "Fédération belge des négociants en bières et eaux de boisson". Diekirch s'engageait à produire, dès le début de l'année, une bière spécialement conçue pour le marché belge, la "Kaly Pils". La commercialisation de cette bière fut très rapidement un succès et, en novembre 1985, on fêta la sortie de la 24 millionième bouteille. 250 négociants en bière indépendants furent invités à cette occasion. M. Lucien Dury avait entretemps remplacé M. Ady Colas à la présidence du Conseil d'administration.

La prise de participation majoritaire, en octobre 1985, des Brasseries Réunies de Luxembourg Mousel & Clausen SA dans la Société anonyme de la Brasserie de Diekirch doit être considérée comme une mesure de consolidation de l'industrie brassicole luxembourgeoise, de maintien de sa compétitivité et de sauvegarde de ses postes de travail. Les Brasseries Réunies cédèrent une partie des parts sociales ainsi acquises à la brasserie belge Artois (aujourdh'hui Interbrew International Finance SA, holding luxembourgeois), de sorte qu'il n'y avait plus d'actionnaire majoritaire. La Banque Internationale conservait à l'époque une participation significative, revendue par la suite. Elle entretient cependant aujourd'hui encore d'étroites relations d'affaires avec la brasserie. Il reste encore un certain nombre de petits actionnaires, provenant en partie des familles fondatrices.

Le Conseil d'administration fut complété par décision de l'assemblée générale des actionnaires du 29 avril 1987. A Lucien Dury, président, Ady Colas, René Gredt, Robert Hentgen et Albert Reiffers, membres déjà en fonction, vinrent s'ajouter Alphonse Tilmant, Jean Van Damme et Roland de Kergorlay.

Rien de ce qui touche aux produits spécifiques et aux installations de production et de vente de la Brasserie de Diekirch ne fut modifié, et l'entreprise conserva son indépendance économique et financière. Au cours de la seconde moitié des années quatre-vingts, le Conseil d'administration pris fermement position en faveur du maintien du site d'exploitation de Diekirch.

Lorsque, en 1988, des rumeurs firent état, dans l'opinion publique, d'une possible fermeture de la Brasserie de Diekirch, la Ville et la Brasserie les démentirent vigoureusement. René Gredt, membre du Conseil d'administration et, depuis le 1er mai 1989, administrateur-délégué, y répondit par ce bref message: "Actuellement aucun élément ne permet de mettre en doute l'existence même future de notre Brasserie"(9). Les inquiétudes quant à l’avenir de la Brasserie de Diekirch SA se dissipèrent avec la confirmation du maintien d'un ancrage majoritairement luxembourgeois de l'actionnariat de la Brasserie. Enfin, M. Jules Pauly, nommé nouveau président de la Brasserie en remplacement de M. Lucien Dury -élu président d'honneur- déclara lors de l'inauguration de la nouvelle bouteillerie, le 23 novembre 1992: "(...) Diekirch reste une entreprise économiquement et financièrement indépendante avec une direction autonome"(10).

La production de la Brasserie de Diekirch pour la seconde moitié des années quatre-vingt avoisinait, avec de faibles variations, les 200000 hl; à l'instar des autres brasseries, elle fut cependant revue à la baisse par la suite. En cause: la rationalisation. Les installations exploitées par les ouvriers de la Brasserie étaient considérées comme particulièrement productives: avec 4.000 hl environ, chacun des 47 ouvriers de la Brasserie de Diekirch continuait à produire quelque 800 hl de plus par an que l'ouvrier brassicole luxembourgeois moyen. Une fois de plus, la Brasserie de Diekirch avait démontré, en période de crise, une force particulière, d'autant plus que cette fois -à la différence des précédentes crises économiques généralisées- elle avait dû faire face seule à une concurrence nationale vigoureuse.

Tant le chiffre d'affaires que les bénéfices suivirent une courbe ascendante au cours de la seconde moitié des années quatre-vingts. Ces résultats étaient le fruit du travail réalisé par la société-mère de la Brasserie ainsi que de la situation économique de "Euro-Boissons", l'unique filiale contrôlée à cent pour-cent par Diekirch, spécialisée dans le commerce en gros de boissons, et seule rescapée des filiales créées par la Brasserie de Diekirch dans les années soixante-dix. La baisse de la consommation de bière au Luxembourg obligea toutes les brasseries à prendre de nouvelles mesures de rationalisation. Le 1er janvier 1993, l'impôt luxembourgeois sur la bière fut enfin adapté aux normes européennes. La bière luxembourgeoise fut ainsi, elle aussi, taxée en tant que produit final et les accises furent entièrement perçues dans le pays de production, à la sortie des entrepôts de la brasserie, que la bière soit destinée au marché intérieur ou à l'exportation.

Dans les années soixante-dix déjà, de nombreuses brasseries -parmi lesquelles la Brasserie de Diekirch- s'étaient constitué une seconde source de revenus par le biais de la vente de boissons non alcoolisées, se constituant dans le même temps leur propre réseau de distribution. Le client des années quatre-vingts et quatre-vingt-dix se révéla encore plus exigeant pour l'approvisionnement en boissons. L'offre de Pils et de soft drinks (boissons non alcoolisées) ne suffisait plus à satisfaire ces exigences.

Afin de satisfaire leur clientèle, nombreuse, de tous âges et de toutes les couches sociales, les brasseries furent obligées de produire une bière normale, une bière spéciale et, selon les cas, une bière sans alcool. De plus, une entreprise de boissons comme Euro-Boissons n'avait de perspectives de réussite sur le marché
luxembourgeois que si l'éventail des produits offerts se composait non seulement d'eaux minérales de qualité supérieure, de jus de fruits et de limonades, mais également de spiritueux, de vins et même de champagnes et répondait aux besoins. La Brasserie de Diekirch s'était spécialisée dans la distribution. Des camions à l'inscription de "Diekirch" ou de "Euro-Boissons" -appartenant en partie à la Brasserie- approvisionnaient en produits multiples les gros clients de Diekirch répartis à travers l'Europe. La route fut préférée à la propre voie ferrée, car elle permettait de joindre  chaque client. Le nombre de clients s'approvisionnant encore directement à la Brasserie avait considérablement diminué.

Etant la première et la plus grande brasserie exportatrice du Luxembourg, la Brasserie de Diekirch devait avoir tout particulièrement à coeur d'entrer, en 1993, forte de son expérience, dans le marché communautaire. C'était là un défi de taille pour une brasserie de dimension moyenne comme la Brasserie de Diekirch, d'autant plus que -par exemple- aucune brasserie allemande de taille moyenne n'était présente au niveau européen, mais uniquement les grandes. Il fallait à une brasserie luxembourgeoise consentir bien des efforts au niveau de son organisation pour s'imposer face à la forte concurrence des "géants de la brasserie européenne" (2).

En 1992, la part de la Brasserie de Diekirch dans les exportations de bière du Luxembourg -destinées essentiellement aux marchés des pays européens voisins- était de 63 %, répartis comme suit: 85 % exportés vers la Belgique, le reste vers la France et l'Allemagne. Avec 57 % des exportations de bière, la brasserie confirmait en 1995 sa première place dans ce secteur, et écoulait ainsi à l'étranger plus de la moitié de sa production -165.000 hl- pour cette année. Alors que la Belgique ne représentait plus que 75 % de ses exportations, la part de la France était portée à 20 %. L'Allemagne, l'Espagne et l'Italie comptaient également parmi les marchés d'exportation. Fin 1995, les ventes globales de bière enregistraient un léger mieux.

Une condition préalable essentielle, remplie par la Brasserie de Diekirch, pour pouvoir s'imposer avec succès sur les marchés européens est la production d'une bière de qualité supérieure. En 1994, la Brasserie de Diekirch se distinguait non seulement par la production de produits fabriqués dans le respect exclusif de la loi sur la pureté, mais surtout par la commercialisation de trois types de bière différents de par le goût et la teneur en alcool:

- la "Premium", bière du type Pilsen, d'une teneur en alcool de 4,8 % ,
- la "Grande Réserve", bière brune spéciale, d'une teneur en alcool de 6,9 %, et
- l"Exclusive", une bière blonde, aux arômes généreux, d'une teneur en alcool de 5,2 %.
Une bière brune, d'une teneur en alcool de 5,2 %, vint compléter la liste fin 1994.

Pour satisfaire toujours plus ses clients, la Brasserie de Diekirch diversifia la taille et le type de conditionnements de ses produits. Il fallait ici tenir compte du fait qu'un éventail élargi des conditionnements et des boissons proposés à la vente entraînerait des frais supplémentaires au niveau du remplissage et des coûts. La modernisation des bâtiments et des installations techniques se révéla par conséquent indispensable.

Jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, la gestion des affaires de la Brasserie de Diekirch fut assurée par le directeur, un directeur adjoint et le maître brasseur, lesquels étaient soumis au contrôle du Conseil d'administration. Tous les employés et ouvriers étaient subordonnés aux administrateurs selon une certaine hiérarchie. Face à la nécessité, pour une entreprise tournée vers l'Europe, de disposer de chefs de service responsables, adjoints au directeur et ayant une voix consultative, et à la nécessité tant de faciliter la communication au sein de l'entreprise que d'intensifier les contacts avec la clientèle, les champs d'action des dirigeants furent élargis et chacun d'eux reçu -à rang égal- le contrôle direct d'un département, le tout sous la présidence et la responsabilité d'un administrateur-délégué. Le poste de directeur adjoint fut supprimé.

Le groupe des dirigeants -le Comité de direction- compte actuellement six membres:

1) René Gredt, président, administrateur-délégué,
2) Horst Hermann Müller, directeur technique,
3) Emile Weinachter, directeur commercial,
4) André Molitor, chef du département financier,
5) Raymond Scholer, chef du département administratif,
6) Marc Giard, conseiller général.

Grâce à la simplification de la hiérarchie et à l'amélioration des structures de communication, la Brasserie S.A. devint une entreprise plus flexible. Elle améliora ainsi sa position sur le marché européen des boissons.

Avec une ardeur d'avance sur son temps, la Brasserie investit dans des procédés écologiques à une époque où l'opinion publique n'était pas encore sensibilisée à ce problème. Une installation fut donc aménagée au début des années soixante-dix pour récupérer l'extrait sec de kieselguhr (terre de diatomées) après la filtration et le traiter séparément. Ce procédé permit de limiter considérablement la pollution des eaux. Par ailleurs, la lie était alors déjà récupérée et vendue à l'industrie pharmaceutique. Cette conscience écologique trouva son prolongement jusqu'à aujourd'hui dans les investissements ultérieurs, se traduisant aussi souvent par un accroissement des coûts. Au début des années quatre-vingt-dix, quelque 300 millions de francs furent investis dans la construction d'un nouvel entrepôt pour bouteilles vides et pleines et d'une nouvelle cave pour bouteilles. Ici aussi, les investissements nécessaires au respect de l'environnement furent réalisés. Afin de réduire le niveau des nuisances sonores, la nouvelle cave fut équipée d'un toit anti-bruit et de bandes transporteuses à fréquence réglée. Dans le même temps, les étiquettes furent reconçues et la feuille d'aluminium fut remplacée par une feuille de papier recyclable.

Parmi les autres investissements importants, il faut citer:

en 1994, la cuve de filtrage de la salle de brassage fut transformée, et équipée des techniques de pointe, permettant ainsi une amélioration de la qualité.
En 1995, une machine d'inspection ultra-moderne, entre autres, fut installée dans la cave des bouteilles afin de permettre une sécurité maximale pour les bouteilles à remplir. Toute l'installation de chargement fut remplacée par des gerbeurs empileurs électriques, respectueux de l'environnement. Pour l'assurance qualité, le laboratoire fut équipé des appareils d'analyses les plus modernes.
Début 1996, la Brasserie fit l'acquisition d'une nouvelle chaudière à vapeur, fonctionnant au gaz -énergie respectueuse de l'environnement- ou au fuel léger. Afin d'assurer l'approvisionnement futur de la Brasserie en eau de qualité, un nouveau puits est creusé. Une nouvelle salle de fermentation et une nouvelle cave de garde sont également prévues. Ces gros investissements se sont accompagnés et s'accompagnent toujours de nombreux investissements de moindre importance, afin d'assurer la continuité de l'entreprise.

Ces importantes décisions quant à l'avenir de la société ont été prises sous la présidence de M. Jules Pauly. L'actuel Conseil d'administration, avec Emile Weinachter au poste de secrétaire, est constitué, après plusieurs redistribution des sièges, de:...........président, Tony Desmet, vice-président, René Gredt, directeur, ainsi que de Robert Hentgen, Marc Jacobs, Albert Reiffers et Patrice Thys.